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revue générale. — histoire et philosophie religieuses.

de la fermeté de vues de l’auteur. « Nous sommes, dit M. d’Ercole, de ceux qui admettent la raison d’être, à la fois du point de vue religieux et du point de vue philosophique ; mais nous sommes de ceux qui veulent nettement et fermement maintenir le caractère spécifique de la philosophie et de la religion. La philosophie n’est pas la religion : la science est seulement science, elle se fonde uniquement sur la raison et sur les faits. La religion n’est pas une philosophie ou science, mais seulement religion ; elle se fonde uniquement sur la croyance… Quand on les confond, ainsi que le font d’ordinaire les théistes et qu’on les adultère de la sorte, ce n’est point seulement à la philosophie qu’on porte une mortelle atteinte, c’est encore à la religion. » Nous sommes, nous aussi, de ceux qui pensent qu’il n’y a de conciliation possible entre la religion et la philosophie indépendante, qu’au prix de la mutuelle reconnaissance du domaine respectif de chacune d’elles. Si M. d’Ercole pouvait arriver à convaincre quelques philosophes que le temps des compromis bâtards est passé, il aurait rendu un service éminent à la cause dont il s’est fait le défenseur.

À mille lieues de M. d’Ercole se trouve, sans doute, M. J. Justus, dans son Christianisme à lumière de la science comparative du langage et de la religion et en opposition à la spéculation aristotélico-scolastique[1], puisqu’il recommande un système de philosophie chrétienne qui subordonne expressément la spéculation à la foi ; mais il ne se sépare pas moins de M. Bourquard, en combattant très nettement la philosophie chrétienne du moyen âge, à laquelle il reproche d’avoir accepté un système païen. Quel rôle joue en ceci la science comparée du langage et de la religion ? Nous allons le dire.

M. Justus est un chrétien et un catholique convaincu, qui s’incline devant les dogmes de l’Église et les accepte les yeux fermés ; seulement, à la différence de nombre de ses coreligionnaires, il rouvre les paupières et s’étonne naïvement de voir que la philosophie traditionnelle s’est beaucoup moins inspirée du dogme que d’une spéculation étrangère au christianisme. Ce mariage de l’aristotélisme et de la doctrine révélée lui paraît contre nature ; il s’en indigne et propose une voie nouvelle qui remettra le paganisme à sa place, et les néo-scolastisques avec lui, au profit de l’Église elle-même. L’écrivain viennois, s’il est un radical et un révolutionnaire dans la forme, n’est donc au fond qu’un réactionnaire, et l’on verra tout à l’heure qu’il est beaucoup plus loin de s’entendre avec le mouvement philosophique du présent que Léon XIII ou l’abbé Bourquard.

M. Justus entend répéter que la scolastique est le seul système philosophique vrai et certain, qu’elle est chrétienne dans son principe et s’accorde avec l’ensemble du contenu de la révélation, » que « la philosophie d’Aristote renferme d’une façon éminente les éléments qui étaient le plus essentiels à la méthode et à la systématisation de la science

  1. In-8o, VIII et 242 pages.