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revue générale. — histoire et philosophie religieuses.

cosmos, et, quant à la terre, elle s’arrêtera un jour, justifiant pour l’avenir, sinon pour le présent qui est passager et transitoire, les vues du docteur angélique.

M. Bourquard n’est donc pas un intransigeant ; il sait, à propos, passer condamnation sur ce qui n’est plus soutenable. La restauration du thomisme, ainsi comprise, perd beaucoup de sa gravité. Qu’est-ce que le système, aujourd’hui préconisé, du docteur du xiiie siècle, sinon une encyclopédie des sciences philosophiques et théologiques, mariage d’Aristote et du dogme chrétien ? Le fond de la partie philosophique, emprunté lui-même au grand encyclopédiste grec, ne se retrouve-t-il pas plus ou moins dans nos manuels « laïques » de philosophie ? N’y trouve-t-on pas la causalité et la finalité, la substance et l’accident, sans compter la démonstration du Dieu-architecte ou Dieu-ingénieur par l’histoire naturelle ? Autrefois on citait l’abeille pour écraser les sceptiques. Il parait qu’on a mieux. Il est une bête, l’ammophile qui, dit-on, assure la nourriture de ses larves en insensibilisant, sans la tuer, une grosse chenille, au flanc de laquelle elle les loge ; ces larves ne supporteraient pas de goûter à la chair corrompue. Singulière idée de la divinité, assurément, et bien mesquine, que de se la figurer occupée à bâtir de petits joujoux vivants, surprises à la Robert-Houdin !

J’avoue donc, dois-je le dire, n’être pas de ceux qu’indigne l’encyclique Æterni Patris. Cette philosophie-là me semble plus franche que celle qu’on enseigne dans les lycées, et pas beaucoup plus arriérée. Tant que philosophes, astronomes, physiciens, chimistes et naturalistes ne seront pas résolus à se cantonner dans le domaine de l’observation et de l’expérimentation critique appliquée aux objets de leurs études, je ne trouverai pas de mauvaise guerre qu’on leur oppose saint Thomas et Aristote, dont ils n’ont pas su renouveler la méthode.

Le professeur Pasquale d’Ercole, de Turin, s’occupe, lui aussi, du thomisme, comme l’indique son titre, dont voici la traduction complète : Le théisme philosophique chrétien, examiné au point de vue tant de la théorie que de l’histoire, en tenant spécialement compte de saint Thomas et du théisme italien du xixe siècle. Mais il s’en occupe pour le combattre. Le premier volume de son œuvre est intitulé en conséquence : Les contradictions et les démonstrations non fondées du théisme[1]. Par théisme philosophique chrétien, M. d’Ercole entend ce que nous exprimerions plutôt en France par philosophie chrétienne ou spiritualisme chrétien. Le savant professeur a cru qu’il y avait lieu de soumettre à un examen critique, systématique, le théisme traditionnel. Sans doute, la plupart des propositions de ce dernier ont été l’objet d’attaques, de critiques et de réfutations dues souvent aux penseurs les plus éminents ; mais il a semblé à M. d’Ercole que le public attendait à l’heure présente quelque chose de plus que la cri-

  1. In-8o, XV et 700 pages.