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écrites en prose de langue d’oïl[1]. Sous quelle forme le moyen âge français a-t-il connu la Bible, par l’intermédiaire de quelle traduction, c’est là un point grave qui ne saurait être indifférent aux études religieuses, et sur lequel on ne possédait jusqu’à ce jour que des notions très incomplètes. M. Berger étend ces notions, les précise et fait la lumière en un sujet qui exigeait de longues et minutieuses recherches.

Disons tout de suite les conclusions auxquelles il aboutit et qui se présentent dans de rares conditions de solidité. La Bible française du moyen âge remonte par ses origines aux premières années du xviie siècle. C’est sans doute aux environs de l’an 1100, dans une abbaye normande du sud de l’Angleterre, que des disciples de l’illustre Lanfranc traduisirent le Psautier, dont ils firent une double version, répondant à deux des textes latins dans lesquels cet ouvrage était répandu, Cette antique version normande a joui d’une telle popularité que, jusqu’aux temps de la Réforme, elle n’a pas rencontré de traduction rivale. Les manuscrits nombreux dépouillés par M. Berger, ne lui ont offert que des remaniements de l’ancienne version. Cinquante ans après le Psautier, l’Apocalypse fut traduite à son tour dans les états normands ; la traduction des quatre livres des Rois est de la même date. On ne saurait dire si elle a été composée dans l’Île-de-France ou en Normandie.

Si nous laissons de côté divers essais pour fournir au peuple des extraits de la Bible, nous arrivons au règne de Saint-Louis et à la traduction complète qui vit le jour à Paris, peu avant l’an 1250, C’est là « la version française par excellence des Livres saints ». — « Cette version parisienne des Livres saints acquit bientôt, nous dit M. Berger, une telle faveur qu’il fut dès lors impossible d’en faire accepter une autre. » Notons aussi la Bible historiale, qui est, pour une grande mesure, un extrait de la traduction de Paris et qui a joui, pendant le xive et le xve siècle, d’un succès énorme. « Il n’est presque pas un château de grande maison, en France et dans les pays voisins, où n’ait figuré quelqu’un de ces précieux manuscrits, qu’enrichissaient des miniatures de toute beauté. Mais il est peu probable qu’un seul de ces splendides volumes ait jamais pénétré jusqu’au peuple ou jusqu’au bas clergé. » C’est enfin cette même version de Paris qui, avec l’imprimerie, fut mise aux mains du peuple, après avoir subi de la part de Lefèvre d’Etaples des remaniements considérables. La Bible de Lefèvre à d’Etaples, établie sur la base de la version de Paris, a été, à son tour, la base de toutes les traductions postérieures ; « aussi, remarque M. Berger, trouverait-on peut-être, en cherchant bien, dans les Bibles que nous lisons aujourd’hui, quelques traces du style des anciens traducteurs du règne de saint Louis. »

En recevant le Procès-verbal fait pour délivrer une fille possédée par le malin esprit à Louviers (1591), publié d’après le manuscrit original et inédit de la Bibliothèque nationale[2], je me suis demandé depuis

  1. In-8o, XIV et 450 pages.
  2. In-8o, CXIV et 98 pages.