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système brahmanique ». — « Je ne crois pas, dit encore le traducteur du Brahmakarma, trop avancer en disant qu’aucun Européen, qui n’a pu voir de ses yeux et entendre de ses oreilles le culte brahmanique, ne peut comprendre et rendre avec justesse les rites sacrés des Brahmanes. — Un séjour de onze années dans l’Inde, dont sept passées dans un contact continuel avec les Brahmanes érudits de la vieille école qui ne parlent que leur langue natale ou le sanscrit et dont l’indouisme n’est point entaché d’idées occidentales ni modifié par l’éducation des collèges anglais, m’a été d’une grande utilité. »

Les personnes les plus compétentes ont rendu hommage au travail de M. Bourquin en déclarant qu’aucun sanscritiste européen n’aurait été en mesure de mener à bien comme lui l’entreprise de mettre sous nos yeux la traduction fidèle du rituel brahmanique, accompagné de toutes les explications qui en assurent l’intelligence. Voici les divisions de l’œuvre : I, Ablution sacrée du matin ; II, Ablution sacrée du midi ; III, Ablution sacrée du soir ; IV, Culte rendu aux dieux et aux ustensiles sacrés ; V, Cérémonie appelée Sacrifice de Brahm ; VI, Culte rendu aux mânes des parents défunts ; VII, Culte du soleil ; VIII, Sacrifice appelé Vaishvadeva ; IX, Baliharana ou rite des offrandes de boules de riz aux dieux ; X, Investiture du cordon sacré. Ces dix chapitres sont suivis d’un appendice, d’un index et de la transcription du texte original en caractères romains.  

De pareils travaux ont sur d’autres, plus brillants et plus séduisants d’aspect, ce premier avantage qu’ils gardent leur prix et ne sont pas suspendus au sort d’hypothèses et de combinaisons plus ou moins ingénieuses. La possession d’une traduction et d’un commentaire autorisés du rituel religieux de nos frères aînés, les Hindous, est précieux en soi ; qui pourrait le contester ? Mais M. Bourquin soulève incidemment, du même coup, de très importants problèmes relatifs à l’évolution religieuse de l’Inde. Voici ce qu’écrit à ce propos M. J. Darmesteter dans le dernier rapport sur les travaux de la Société asiatique : « L’étude du rituel et des hymnes védiques qui y jouent un rôle amène M. Bourquin à cette conclusion que le rituel brahmanique, comparé à la littérature védique, est beaucoup plus ancien qu’on ne le suppose généralement et qu’il peut donner l’explication naturelle de nombre d’hymnes jusqu’ici mal compris. Il croit que l’étude de ces rites où tant d’hymnes étaient chantés, jettera plus de jour sur l’âge des Védas que les conjectures courantes, qui divisent l’histoire de la littérature indienne en périodes plus ou moins arbitraires, d’après des rapports purement logiques ou littéraires. Ainsi, tandis que M. Barth fait descendre le Véda dans le brahmanisme, M. Bourquin fait remonter le brahmanisme dans le Véda ; c’est le même mouvement qui s’opère des deux côtés, le point de départ seul différant, mouvement qui tend à rapprocher deux formes que l’on croyait séparées par un abîme infranchissable. »