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Dr SIKORSKI. — l’évolution psychique de l’enfant

l’homme et certaines conditions et règles de la vie. Grâce à cet enseignement, l’enfant commence à comprendre de bonne heure la raison de plusieurs exigences hygiéniques. J’ai eu l’occasion de me convaincre sur mes propres enfants de l’utilité de ce système : ils ont appris à définir assez vite leur état individuel et leurs sensations, et cela avec une précision que l’on rencontre rarement à cet âge. Ils décrivent par exemple et localisent d’une manière exacte leurs sensations maladives ; ils mesurent subjectivement assez bien les rapports de la température extérieure, haute ou basse, la force des vents et d’autres agents extérieurs. Ces connaissances contribuent positivement à ce que l’instinct de la conservation personnelle soit éclairé et réglé par la raison et le bon sens. Nous avons exposé plus haut l’utilité qu’une pareille analyse de ses propres sensations peut avoir pour l’approfondissement des affections et pour leur répression.

Un autre côté dans la culture de l’instinct de sa propre conservation, côté pratique et qui n’est pas moins important, c’est l’affermissement et la régulation des principaux instincts partiels. L’utilité et la possibilité de ce côté de l’éducation sont prouvées par le fait suivant, qui est bien connu : on voit très souvent les parents attristés par le refus de leurs enfants de prendre tel ou tel aliment nutritif. On observe souvent qu’un enfant ne mange pas de viande, qu’un autre choisit un seul genre de nourriture et refuse toute autre chose, en éprouvant une sorte d’aversion. De pareilles idiosyncrasies, indépendamment des embarras de digestion et d’autres causes, sont le résultat du fait qu’on a oublié de faire connaître de bonne heure à l’enfant et de lui faire apprécier les différents mets. Il est arrivé alors que ses goûts se sont concentrés sur un plat quelconque et toujours le même. Mais si l’on commence de très bonne heure, à l’âge de cinq à huit mois, à faire goûter à l’enfant les différents mets, non pas pour le nourrir, mais pour lui faire connaître différentes impressions du goût et l’y habituer, alors l’enfant élargit de très bonne heure son horizon intellectuel dans la sphère du sentir gustatif, pendant que sa volonté est encore trop faible et qu’il se laisse aller passivement à l’expérimentation. Si l’on pratique systématiquement cette méthode, l’enfant se trouve vers le temps du sevrage en possession d’une expérience gastronomique suffisante, et il sera exempt de cette étroitesse de goût, qui est si fréquente chez les enfants. Il peut de même être utile de développer le goût pour l’air frais, pour le rafraîchissement par le moyen des bains, et de cultiver tous les autres instincts et sensations qui garantissent la conservation de soi-même.

(La fin prochainement.)
Dr Sikorski.