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Dr SIKORSKI. — l’évolution psychique de l’enfant

son esprit ; l’image de la boîte vide ne s’y dessine pas encore d’une manière assez précise. Mais après quelques explorations à l’aide de la vue et du toucher, la réalité extérieure devient enfin pour lui une réalité mentale. Le jour suivant, je répète l’expérience, mais j’en modifie un peu les conditions. J’ouvre la boite vide et je retiens les mains de l’enfant, en le mettant à même de se convaincre du fait par la seule vue. L’expérience est plusieurs fois répétée, et cependant l’enfant n’arrive pas à une conviction ferme : quelques secondes après, il exprime le désir d’explorer la boîte. Je lui laisse alors les mains libres, et il recommence immédiatement à chercher dans la boîte vide ; ce n’est qu’après cela qu’il se convainc que l’objet cherché ne s’y trouve pas. En pareille circonstance, un adulte jugerait par la vue seule de l’absence des biscuits, et ses mains, malgré l’impulsion du geste, ne s’en mêleraient pas. De même, l’adulte pourrait, en de pareilles conditions, arriver à un résultat négatif par le toucher seul, sans avoir recours à la vérification par la vue. Chez l’adulte l’absence d’un certain objet pour la vue reproduit l’idée de l’absence pour le toucher : l’adulte conçoit fermement cette vérité sans recourir au toucher. Tel n’est pas le cas pour l’esprit infantile : l’absence d’un certain objet pour la vue n’y fait pas naître l’idée de l’absence absolue de l’objet. C’est une des causes qui portent l’enfant à se servir pour l’investigation des objets extérieurs de tous les organes ses sens, du moins au commencement. Plus tard, l’enfant apprend, au moyen des jeux, à remplacer peu à peu ce procédé compliqué par une analyse plus simple, abrégée et pratique, c’est-à-dire en n’employant qu’un ou deux de ses sens.

En analysant, de cette manière, la faculté de penser chez cet enfant, qui paraissait assez bien doué, on en voit l’insuffisance ; on voit la richesse des germes intellectuels, mais en même temps leur très faible activité. On comprend après cela cette incessante répétition des actions, qui se remarque chez les enfants en général. Un enfant, qui vient d’enlever le couvercle de la cafetière, va répéter cette opération une centaine de fois. Pourquoi ? Parce que l’image qu’il vient de voir ne laisse qu’une faible trace dans son esprit et qu’elle n’y est pas encore assez nettement gravée : il a besoin de conceptions nouvelles, réitérées pour s’approprier solidement cette image. Mais dès que l’enfant y est parvenu, ce jeu perd pour lui tout intérêt, et il ne s’en occupe plus. Ce qui vient d’être dit de la reproduction des impressions isolées, se rapporte aussi aux impressions groupées. La conception et la reproduction des mouvements obéissent à cette loi : l’enfant reproduit des milliers de fois certains mouvements, jusqu’à ce qu’enfin la reproduction en devienne parfaitement claire.