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par des perceptions répétées ; autrement l’enfant oublierait forcément et pour toujours ce qu’il a vu et entendu. L’observation démontre que s’il est devenu sourd, il désapprend à parler et devient muet, parce que les paroles ne sont plus rafraîchies dans sa mémoire après la perte de l’ouïe. L’adulte, au contraire, après avoir perdu l’ouïe, ne perd pas la parole. Cela prouve que la reproduction des impressions est intimement liée à la fréquence de leur conception. Une grande partie des jeux de l’enfant est combinée de manière à rafraîchir et à exciter dans son esprit les procédés de reproductions. Tels sont les jeux de cache-cache et de la poupée. Les poupées s’en vont en visite, s’en reviennent, vont en condition, reviennent à la maison ; et à l’aide de ces symboles l’enfant veut se représenter plus concrètement ce dont il a déjà une vague conception. Telle est la signification de cette habitude favorite des enfants de cacher à leur regard les objets de leurs jeux, ou de se couvrir les yeux avec les mains, pour se voiler d’un seul coup à eux-mêmes tout leur champ visuel, tout en le gardant dans leur mémoire et pour rafraîchir ensuite subitement leurs conceptions de tout à l’heure par la vision réelle. Telle est enfin la signification de cette occupation préférée, qui consiste à jeter des pierres dans l’eau ou dans un puits, ou à lancer des bulles de savon, — ce dont se divertissent aussi les adultes, car c’est pour eux une réminiscence psychique. Dans tous ces jeux, on se propose un certain résultat et l’on l’attend comme quelque chose que l’on désire de voir : ce sera le plongeon de la pierre dans l’eau, le chemin que fera la bulle de savon et le moment où elle crèvera. Toutes ces conséquences sont d’avance reproduites intérieurement, et l’essentiel dans le plaisir consiste dans la coïncidence du réel avec la reproduction. Mais combien une pareille vérification doit être fréquente et continue pour l’enfant, chez lequel la reproduction est très faible, et pour lequel ce qu’il attend, ce qu’il prévoit se dessine à peine comme une pâle vision de son imagination ! Analysons de plus près l’insuffisance intellectuelle de l’enfant. En prenant le thé, je m’adresse à ma petite, âgée de onze mois, et lui montrant un objet bien connu — la boîte aux biscuits, je la prie de m’en passer un. J’ouvre la boîte vide, l’enfant y regarde, mais non content de cela, il y introduit sa main, avec laquelle il l’explore : les yeux ne lui ont pas suffi pour se convaincre de l’absence de l’objet recherché. L’enfant se persuade à la fin que la boîte est vide, mais cette conviction n’est pas durable quelques secondes après, il renouvelle de la main ses recherches et y revient à plusieurs reprises. Il est évident que la représentation du résultat des recherches est si faible que l’idée de l’inutilité de nouveaux efforts ne peut pas s’établir solidement dans