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Dr SIKORSKI. — l’évolution psychique de l’enfant

tion de cause à effet, il montre un grand contentement, résultant du sentiment de sa propre force, comme cause de phénomènes, comme principe moteur vivant, indépendant de tout ce qui l’entoure. Ce sentiment continu, qu’il représente par lui-même une force, constitue un des fondements de la conscience de soi-même. La mise au jour de cette vérité que le développement de la conscience de soi-même se produit de cette manière chez les enfants appartient à M. Preyer[1]. Il suppose avec raison que le fait de déchirer, de briser, de détruire des objets, que l’action de faire du bruit, du tapage, de jeter ou de trainer des objets, de faire couler des liquides ou de les transvaser, etc., que tous ces mouvements enfin, accomplis avec le plus grand sérieux, contribuent peu à peu à ce que l’enfant, en qualité d’acteur, de force subjective, se sépare de son milieu, de tout ce qui l’entoure. Lorsqu’un pareil processus est suffisamment préparé, la conscience de soi-même peut surgir parfois subitement, comme une conséquence naturelle, logique, fondée toutefois sur une riche expérimentation psychologique. Le développement de la conscience de soi-même est produit chez l’enfant par plusieurs éléments : 1o les sensations musculaires, et alors toute la catégorie des jeux, qui viennent d’êtres décrits, sert de base à l’expérimentation ; 2o les sensations douloureuses et d’autres impressions corporelles ; 3o les conceptions visuelles sur la forme et les dimensions de son propre corps. Un important auxiliaire dans cette dernière catégorie des conceptions, c’est le miroir, qui fournit à l’enfant un des joujoux les plus instructifs. Le préjugé ordinaire regarde le miroir comme étant dangereux pour l’enfant.

La troisième catégorie des jeux et des divertissements de l’enfant lui sert à s’exercer dans la reproduction des impressions et des idées. Un adulte peut reproduire dans son esprit, avec une lucidité et une précision admirables, chaque impression qu’il vient d’éprouver. Nous nous figurons très distinctement, après l’avoir quitté, toutes les particularités de notre appartement ; nous nous rappelons la physionomie d’une connaissance, qui se trouve loin de nous ; nous reproduisons dans notre esprit le son d’une cloche que nous avons enttendu autrefois. Quant à l’enfant, ce procédé de reproduction lui est absolument impossible. Le visage de la mère, que l’enfant reconnaît au quatrième ou au cinquième mois et qui éveille son sourire, disparaît de sa mémoire dès qu’il le perd de vue. Mais, avec le temps, sa mémoire commence à retenir plus ou moins les impressions, à la condition toutefois qu’elles soient continuellement renouvelées et rafraîchies

  1. Preyer, loc. cit., chap.  xx.