Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
413
Dr SIKORSKI. — l’évolution psychique de l’enfant

vation et d’expérimentation primitive. Quel est le sens d’un pareil changement et quels problèmes se résolvent dans ce travail organique vital de l’enfance ?

On peut diviser le vaste monde des jeux de l’enfance en trois grands groupes.

Le premier et le plus grand de ces groupes se trouve en corrélation avec le développement du penser abstrait, et il sert à l’enfant d’auxiliaire puissant dans son travail pour apprendre à raisonner. On sait très bien que l’enfant saisit divers objets, les contemple, les touche, les pèse dans ses mains, les explore à différents points de vue, mais il est surprenant de le voir montrer dès l’âge le plus tendre un certain intérêt instinctif à l’analyse abstraite des objets, à l’étude de leurs propriétés. Cela est d’autant plus frappant qu’un pareil penchant au raisonnement abstrait n’est exigé par aucune nécessité immédiate. Il est évident que ce sont des productions innées de l’organisation névro-psychique, qui apparaissent avec cette même régularité rigoureuse que se développent les mouvements coordonnés des yeux pour voir et des pieds pour marcher. Lorsque vous donnez à un enfant de six mois une feuille de papier blanc, c’est tantôt le poids insignifiant de cet objet qui l’intéresse, tantôt c’est le frôlement du papier qui le divertit, et il frappe alternativement tantôt sur le papier, tantôt sur la table, en comparant la différence des sons ; et, lorsqu’il est absorbé par cette différence, il ne pense plus aux autres propriétés physiques du joujou, par exemple à son poids. Si vous mettez l’enfant au bain et que vous laissez des joujoux à sa disposition, vous vous persuadez facilement que sa manière de se divertir n’est plus celle que vous avez observée quelques minutes auparavant l’enfant essaye de faire plonger les objets flottants et, par contre, de faire nager les objets lourds ; il étudie en un mot les propriétés hydrostatiques de ses joujoux, et c’est cette idée seule qui l’intéresse dans ce moment. Un exemple encore. Si vous vous adressez à l’enfant à travers la vitre d’une porte fermée, il arrive souvent que votre petit interlocuteur vous oublie totalement, et qu’il concentre toute son attention sur le rapport, étrange pour lui, entre la transparence de la vitre et son imperméabilité : l’enfant frappe la vitre de ses mains, et le petit philosophe essaye de résoudre ce paradoxe inexplicable pour lui, sans plus penser à votre figure qui se dessine sur sa rétine et de là sur son écorce cérébrale. Dans tous ces cas, l’enfant nous apparaît comme un théoricien, qui fait abstraction de l’objet entier pour porter son attention sur une propriété ou un caractère quelconque de l’objet donné, et qui cherche des propriétés analogues dans d’autres objets, les associant et en faisant