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Dr SIKORSKI. — l’évolution psychique de l’enfant

d’approfondir l’essence de la question. Les jeux de l’enfance et ses divertissements sont, d’après Vierordt, des imitations des actions des adultes. Ce physiologiste cite, comme preuve, des faits rapportés par le célèbre explorateur Livingstone, qui affirme que les jeux des enfants des nègres consistent généralement en tirs et invasions, choses dont s’occupent leurs pères[1]. Il s’agit naturellement ici d’enfants plus âgés. Les deux auteurs russes, M. et Mme Simonovitch, abordent la question dans le même sens[2]. Uffelmann essaye de démontrer le but final qu’atteint l’enfant par la voie de son activité. « Les jeux », dit-il, « fortifient le corps, développent l’esprit, [ce qu’affirmait aussi la médecine classique] ils procurent plusieurs images nouvelles, aiguisent les facultés d’observations et la puissance d’association, et exercent, au surplus, une grande influence sur le caractère, servant comme source de contentement et de plaisir[3]. M. Preyer montre une connaissance plus profonde de la signification et du sens caché des jeux et des divertissements de l’enfance. Il nomme, ces jeux l’expérimentation : ce ne sont pas des jeux seulement quoi qu’on les appelle ainsi, c’est de l’expérimentation[4].

L’observation des jeux et des divertissements de l’enfance mérite, sans contredit, l’attention la plus sérieuse du psychologue. En effet, la pratique de tous les jours nous montre que les jeux constituent le côté le plus saillant de la vie infantile, et que les enfants s’y adonnent avec une ardeur surprenante. Il n’est pas difficile non plus de se convaincre que la diversité des jeux, leur complication et l’intérêt que leur portent les enfants s’augmentent et se multiplient à mesure que ceux-ci se développent intellectuellement ; aussi, le génie créateur de l’enfant se manifeste-t-il surtout dans l’organisation des jeux, qui sont le produit d’une certaine impulsion intellectuelle, laquelle excite l’enfant et le pousse à une activité incessante. Tant il est vrai, que le mouvement et la gymnastique y jouent un rôle secondaire, subordonné, servant d’instrument pour l’accomplissement des conceptions intellectuelles. Telle est l’impression générale que produisent les jeux des enfants. Passons à l’analyse des particularités.

L’attention de l’observateur est frappée avant tout, dans les jeux de l’enfance, de l’absence totale de l’élément émotionnel : les jeux montrent exclusivement l’activité intellectuelle. Dans les cas même,

  1. Vierordt, Physiologie des Kindesalters (physiologie de l’enfance), in Gerhardts, Hdb. der Kinderkrankheiten, 1881, p. 477-478.
  2. Simonovitch, Adélaïde et Jacob, Observations pratiques sur l’éducation, 1877, p. 154, (russe).
  3. Uffelmann, loc. cit., p. 356-357.
  4. Preyer, loc. cit., p. 362.