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A. BINET et CH. FÉRÉ. — la polarisation psychique

que lorsqu’une émotion a duré un temps assez long, elle fait place, pendant un moment, à une émotion de genre contraire, qu’on pourrait appeler, avec assez de justese, l’émotion consécutive. Lorsqu’une personne a fait un long effort pour se contenir devant un étranger, elle profite de son départ pour se mettre à son aise et se détendre. C’est l’histoire de l’enfant qui fait semblant de s’appliquer quand le maître le regarde, et tire la langue quand le maître a le dos tourné. De même la joie conduit à l’attendrissement et aux larmes, et on a dit de l’amour passionné qu’il a des éclairs de haine. Enfin, si la faiblesse et la fatigue des yeux favorisent le développement des images consécutives, l’affaiblissement ou l’épuisement produit par l’âge ou les maladies favorise également le développement des émotions consécutives. C’est ainsi que peuvent s’expliquer les changements d’humeur si fréquents des névropathes et en particulier des hystériques qui subissent presque immédiatement l’inversion des émotions et des passions. « Rien n’est plus commun, dit M. Richet, que de voir une jeune femme, jusque-là tendre à son mari et à ses enfants, les prendre subitement en haine. Dans ce cas, l’aversion a la cause la plus futile du monde ; elle est provoquée par la forme de la barbe ou les breloques de la montre, ou le son traînant, ou l’habitude de répéter le même mot… » Nous interprétons ces phénomènes comme étant des émotions consécutives, dont la production est favorisée par la condition particulière des centres nerveux dans l’hystérie.

En terminant notre premier travail sur le transfert, nous remarquions que nous laissions beaucoup de lacunes à combler. Nous pouvons faire aujourd’hui la même remarque. Il reste encore à résoudre plusieurs questions, dont les plus importantes sont celles-ci.

Quels sont les sujets sensibles à l’action magnétique ? Nos expériences ont été faites, pour la plupart, sur des phénomènes suggérés pendant l’hypnotisme, mais elles réussissent également sur des phénomènes spontanés de la veille ; la suggestion ne nous a servi le plus souvent que de fixatif pour forcer le sujet à accomplir pendant le temps voulu, un travail de ses mains ou de son esprit qu’il aurait été moins docile à faire, si on l’en avait simplement prié pendant la veille. Mais éveillés ou non, nos sujets sont toujours des malades, de grandes hystériques. Les individus sains, atteints d’autres maladies que d’une affection hystérique, sont-ils sensibles à l’aimant ? Cette question n’a pas encore été résolue, ni même examinée. Nous ne pouvons que signaler les dernières recherches de Rumpf qui paraissent établir la réalité du transfert physiologique[1]. Cet obser-

  1. Archives de Neurologie, janvier 1883, p. 103.