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gros… Je n’aime pas les gros… et surtout lui, l’horreur !.., (on enlève l’aimant). Ma foi ! je l’étranglerais bien ! j’en aurais la force !… On a bien fait de ne pas nous laisser de couteau… — Si je le tuais pourtant, ses enfants, que deviendraient-ils ! Il en a encore trois….. » etc., etc.

Ici, comme dans l’expérience précédente, il y a deux émotions contraires qui alternent, ce sont la colère et la bienveillance. L’aimant produit une sorte de délire circulaire, dont les deux phases sont caractérisées par un ton émotionnel différent. À mesure qu’une des deux émotions grandit, on voit jouer toutes les associations d’idées qui sont en harmonie avec elle ; ce fait est bien connu dans l’histoire des suggestions. Quelquefois le souvenir éveillé par l’une des émotions reste présent à l’esprit, malgré l’arrivée de l’émotion antagoniste ; mais alors, chose curieuse, ce souvenir est interprété dans un tout autre sens ; car il faut qu’il reste, à tout prix, en conformité avec le sentiment qui domine. C’est ainsi que la malade, pendant une phase de bienveillance, se souvient que X, après l’avoir arrêtée à la porte de l’hospice, a dit à son fils : « donne-lui un bouquet de fleurs, » et la malade, en pensant à ce bouquet, s’écrie : ils ont été charmants pour moi. Mais bientôt, la colère se rallume ; et le souvenir du bouquet ne fait que l’aiguillonner davantage : « Ils me prenaient par la douceur avec leur bouquet de fleurs… c’était un piège. » Telle est l’influence ordinaire de l’émotion sur les jugements ; quand l’émotion change, le jugement change. On n’a pas besoin d’être hypnotisable pour tourner ainsi au vent de la passion.

À part cette légère influence sur les idées, le délire de la malade est purement émotionnel ; il ne donne pas lieu à des phénomènes impulsifs. Cependant, nous sommes persuadés que si X. avait été présent à l’expérience, la malade se serait jetée sur lui. Les suggestions de ce genre ne manquent pas de gravité ; aussi faut-il avoir soin de ne pas quitter les malades avant d’avoir effacé la suggestion criminelle par une suggestion contraire, pratiquée pendant le somnambulisme. Il arrive, d’ailleurs, que les actes s’associent au délire émotionnel.

XV. Wit… étant endormie en somnambulisme, nous lui inculquons l’idée qu’au réveil elle aura envie de battre M. F. Un aimant est placé à terre à proximité de son pied droit. Sitôt qu’elle est réveillée, elle regarda M. F. avec inquiétude, puis tout à coup se lève et lui lance un soufflet qu’il a juste le temps de parer. « Je ne sais pas pourquoi, dit-elle avec violence, mais j’ai envie de frapper. » Le fait est qu’elle fait tout ce qu’elle peut pour frapper. Puis, au bout d’un instant, sa physionomie change, elle prend une expression douce et