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de nos malades, Wit…, le transfert d’une impulsion verbale, nous fûmes très étonnés de voir passer la malade alternativement d’une phase de gaieté dans une phase de tristesse. Nous prîmes note du phénomène, sans le comprendre. L’observation a été publiée intégralement dans notre premier travail[1], où le lecteur pourra la retrouver. Maintenant, tout devient clair. Pour une cause ou une autre, la malade s’est sentie gaie, à un moment de l’expérience. L’aimant polarisant cette émotion, l’a changée en tristesse. Quelle place peut-on trouver pour l’attention expectante ou la suggestion, dans une expérience qui s’est faite toute seule, à l’insu des observateurs, et sans que les observateurs la comprissent ?

Mais si la sincérité de ces changements émotionnels n’est pas douteuse, sont-ils oui ou non le fait de l’aimant ? On pourrait avancer l’hypothèse suivante : la malade rendue gaie par suggestion, s’est épuisée à rire ; peu après, versatile comme toutes les hystériques, elle a passé sans motif et sans transition de la gaieté à la tristesse. Mais ce qui prouve que l’aimant exerce une influence sur la marche des phénomènes, c’est ce qui se produit, quand on ne l’applique pas. La malade continue à être gaie ; le rire persiste indéfiniment, et loin de se calmer, il augmente plutôt progressivement. Le changement de cet état émotionnel doit donc être rapporté à l’aimant, et non à la versatilité d’humeur des caractères hystériques.

Autre question. Quelle est la nature de l’action magnétique ? A-t-elle pour point direct d’incidence l’état émotionnel du sujet, ou bien ne modifie-t-elle cet état que par réflexion ? Voici ce qu’on peut supposer à cette occasion, car nous tenons à épuiser toutes les hypothèses : l’émotion suggérée à la malade est associée à un phénomène musculaire, à la mimique qui sert à la manifester ; l’aimant atteint ce phénomène musculaire, sur lequel on connaît son efficacité ; il transforme la mimique ; il remplace les gestes et l’expression de la gaieté par ceux de la tristesse ; cette nouvelle mimique amène, à son tour, en vertu d’associations préétablies, le nouveau genre d’émotion qu’elle sert à traduire. La tristesse succède au rire parce que l’aimant a remplacé sur la figure du sujet l’expression du rire par l’expression de la tristesse. Mais une pareille supposition, si simple qu’elle paraisse, se heurte contre tout ce que nous savons des esthésiogènes. Elle serait vraisemblable, s’il y avait un rapport de symétrie entre les muscles du rire et ceux du pleurer ; mais il n’en est rien ; ces deux groupes de muscles n’ont aucun rapport. Le rire et la joie se servent principalement de deux muscles, le grand

  1. Revue philosophique, janvier 1885, p. 11 et 12.