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A. BINET et CH. FÉRÉ. — la polarisation psychique

C’est que chez cette malade, quand on opère un transfert, les oscillations consécutives manquent toujours. En voici une autre chez laquelle la polarisation est plus complète.

XIV. Wit… étant en somnambulisme, on lui suggère d’être très gaie au réveil. Réveil. Nous transcrivons les paroles de la malade…

Je vais très bien… (elle rit)… Je ne suis pas ici… (elle rit)… Ce doit être nerveux… (rit), ne me regardez pas, ça m’excite encore plus. (rit)… j’en ai mal dans la mâchoire, à force de rire… oh ! ne me regardez pas… (elle se tient les côtes) je pense à une foule de choses, je suis très contente… toutes les fois qu’on me parle, ça me dérange (elle regarde fixement un point, comme si elle songeait profondément, puis éclate de rire). (L’aimant est placé à droite. Les rires augmentent). Je voudrais rire dans un petit coin pour rire toute seule… Oh ! c’est trop de bonheur… Oh ! ne me regardez pas… Je ne peux plus rire. J’en ai mal au côté. (Elle s’arrête, la tête dans ses mains, ne parle plus, sa bouche tremble, son sourcil se fronce, un profond Laissez moi… soupir soulève sa poitrine. Son regard s’attriste.) elle ne veut plus du tout répondre. Trois minutes après, rire éclatant, continu ; puis deux minutes après, phase triste, qui dure très peu. Le rire reprend. L’expérience continue ainsi pendant plus d’une demi-heure.

Nous avons ici une succession en quelque sorte indéfinie de deux émotions contraires, tandis que, chez la première malade, le changement était unique. La seconde expérience est donc plus complète, c’est elle que nous allons analyser.

Quel est le rôle de l’aimant dans cette alternance de manifestations émotionnelles. Et tout d’abord, première question, l’aimant y joue-t-il un rôle quelconque ?

On supposera peut-être que les malades sont des simulatrices ; car il n’y a rien de plus simple que d’imiter la joie et la tristesse. Nous écarterons cette objection en remarquant que le phénomène se passe de la même façon chez Wit… et chez C…, comme si elles s’étaient donné le mot ; que la seule différence à relever entre les deux malades, c’est la présence chez l’une d’oscillations consécutives qui manquent chez l’autre ; que, de plus, toutes deux ignorent qu’on les soumet à l’épreuve de l’aimant ; elles ignorent quand cette épreuve commence ; elles ignorent enfin ce que l’épreuve doit produire.

Nous ignorions nous-même la nature de la modification que nous allions provoquer en polarisant une émotion, et ce n’est qu’après coup, lorsque le résultat fut déclaré, que nous eûmes le souvenir d’avoir vu quelque chose de semblable dans une expérience antérieure. Il y a bientôt un an, au moment où nous opérions sur une