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reaux rouges des fenêtres. La malade, à son réveil, s’étonne de se trouver dans ce milieu rutilant. On applique un petit aimant derrière sa tête. Peu à peu, elle regarde à droite et à gauche, d’un air étonné : « Je vois du rouge, dit-elle, et puis tout à coup, ça devient vert » ; au bout d’un instant, le vert s’est généralisé. Elle voit en vert les personnes présentes et celles qui arrivent dans le laboratoire. Il se passe ensuite des oscillations consécutives.

Dans une seconde expérience, on donne à la même malade une hallucination générale de jaune. L’aimant étant appliqué de nouveau, la malade voit au bout de quelque temps le jaune disparaître, et les objets qui l’entourent s’assombrir, comme si le jour baissait.

Cette dernière expérience, disons-le en passant, n’est que la répétition de la précédente. Si la malade à qui on donne l’hallucination du jaune n’a pas consécutivement celle du violet complémentaire, c’est qu’à l’état normal, elle a une cécité pour le violet, qu’elle voit en noir. Le violet succède donc au jaune, comme le vert au rouge ; mais la malade perçoit ce violet imaginaire comme elle perçoit le violet réel, c’est-à-dire en noir.

Quel est le rôle de l’aimant dans cette succession d’hallucinations colorées ? Le premier effet apparent qu’il produit est la suppression de la couleur suggérée : la malade cesse de voir le rouge et le jaune. Ce n’est pas une simple suppression ; l’aimant produit en outre une anesthésie de la couleur. Nous avons pu le constater facilement en présentant à la malade des cartons rouges et jaunes au moment où son hallucination du jaune et du rouge disparaissait ; elle cessait en même temps de voir la couleur de ces cartons. Ce remplacement d’une hallucination par l’anesthésie correspondante est conforme aux faits que nous avons déjà enregistrés. N’insistons pas.

Ce qui est nouveau, dans l’espèce, c’est l’apparition de la couleur complémentaire. Non seulement l’aimant supprime l’hallucination du rouge, non seulement il creuse une anesthésie correspondante pour le rouge, mais il improvise une hallucination du vert. Cette hallucination nouvelle doit-elle être interprétée comme un phénomène physiologique ? Doit-on la considérer comme la sensation consécutive que produit toujours la sensation ou l’hallucination ou le souvenir d’une couleur ? Non, nous sommes portés, de préférence, à rapporter à l’aimant la production de cette hallucination complémentaire, qui nous paraît être un effet de la polarisation. C’est ce que va démontrer une seconde expérience, plus délicate que la première.

On sait que lorsqu’on a regardé attentivement une croix rouge et qu’on porte le regard sur un espace blanc il se produit comme sensation consécutive une croix verte ; dans cette l’image subjective, la