Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
388
revue philosophique

tement dans son esprit. Quand son attention est bien fixée sur l’idée de cet objet, nous appliquons l’aimant. Au bout d’une minute, elle a de la peine à s’imaginer le tam-tam et finit même par ne plus nous comprendre lorsque nous lui en parlons. À ce moment, nous prenons le tamtam placé sur une table voisine, et nous le présentons à la malade elle ne le voit pas. On peut même le faire résonner, en le frappant avec force, sans provoquer autre chose qu’un léger tressaillement. Mais si on attend quelques secondes, on assiste à une oscillation consécutive ; le souvenir du tamtam revient, en même temps la vision de l’instrument se rétablit, et il suffit alors d’un léger coup de gong pour plonger la malade en catalepsie.

Une autre malade, la nommée Cail… a été l’objet d’une expérience analogue ; le résultat a été le même, sauf sur un point ; la vision du tamtam a été complètement et définitivement supprimée : la suppression durait encore un quart d’heure après, malgré une expérience de somnambulisme qui avait pris place dans l’intervalle. Cette différence s’explique par le fait que Cail… ne présente point d’oscillations consécutives.

Un autre jour, nous prions la malade de penser à M. Ch., nous appliquons ensuite l’aimant, et quand le souvenir de M. Ch.., est complètement aboli, M. Ch.. en personne, qui se tenait derrière le fauteuil de la malade, se présente devant ses yeux. La malade ne le reconnaît point, elle voit bien qu’il y a là quelqu’un, mais ce quelqu’un est un étranger pour elle. Cette expérience est peut-être plus curieuse que celle du tamtam, mais cette dernière a l’avantage de porter avec elle la preuve de sa véracité, aussi la choisissons-nous comme objet de notre commentaire.

Ce commentaire est facile à faire. Nous avons d’abord évoqué dans l’esprit de la malade l’idée du tamtam, et par nos questions nous avons essayé d’augmenter l’intensité de ce souvenir, qui n’est autre chose qu’un agrégat complexe d’images. L’application de l’aimant a supprimé ces images, et aboli le souvenir. À ce moment nous avons constaté que la perception de l’objet lui-même était atteinte comme son souvenir ; et ce qu’il y a de plus curieux, atteinte par le seul fait de la destruction du souvenir ; ce qui semble bien donner raison aux psychologues qui font du souvenir une reproduction affaiblie de la sensation, se passant dans le même centre cérébral, et supposant le même processus physiologique.

Quant à la nature de la modification que l’aimant a fait subir à l’image du souvenir, et que celle-ci a fait partager à la sensation, on voit que c’est une anesthésie systématisée. Il existe donc une anesthésie de la mémoire, au même titre qu’il existe une anesthésie de la