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A. BINET et CH. FÉRÉ. — la polarisation psychique

une image. Et enfin, qu’est-ce qu’une image ? une copie affaiblie d’une sensation antérieure. Nous avons démontré, dans un autre travail, les liens de parenté qui unissent la sensation, l’hallucination et le souvenir, en faisant voir que ces trois phénomènes ont la propriété de développer les mêmes sensations subjectives. « Ils ont évidemment pour base, disions-nous en concluant, la même opération physiologique, se réalisant dans un même point des centres nerveux. Ainsi, soit qu’on ait l’impression réelle de la couleur rouge, ou qu’on se représente cette couleur dans le souvenir, ou qu’on la voie dans une hallucination, c’est toujours la même cellule qui vibre[1]. » Ce qui distingue, selon nous, le souvenir, de l’hallucination et de la perception extérieure, ce sont les états de conscience secondaires qui accompagnent l’évocation d’une image. Dans le souvenir, ces états de conscience consistent en jugements qui localisent l’image dans le passé. Dans l’hallucination et dans la sensation, ces états consistent en jugements qui localisent l’image dans le monde extérieur. Mais ces localisations dans le temps et dans l’espace sont des actes surajoutés, qui ne sont pas nécessaires, et qui manquent souvent. Réduit à sa plus simple expression, et dépouillé de tous ses accessoires, le souvenir est une image comme l’hallucination.

C’est précisément ce que l’expérience de l’aimant se charge de démontrer encore une fois ; car en face de l’aimant le souvenir et l’hallucination se comportent de même. Nous retrouvons ici, sans la chercher une comparaison que d’autres expériences nous avaient, fait établir.

Mais il faut examiner de plus près la manière dont l’aimant polarise un souvenir évoqué. À s’en tenir aux apparences, il semble que cette polarisation soit purement et simplement une suppression du souvenir, l’aimant remplacerait le souvenir par l’oubli. En réalité, il y a plus que de l’oubli, de même que dans la polarisation de l’hallucination, il y a plus qu’une suppression de l’objet imaginaire. Le rapprochement que nous avons établi entre la sensation, l’hallucination et le souvenir, se prolonge beaucoup plus loin qu’il ne semble. De même que la vision réelle ou imaginaire est remplacée par une anesthésie systématisée, de même la vision du souvenir, en se polarisant, est remplacée par une sorte de paralysie du souvenir. En voici la démonstration.

X. Wit… étant dans l’état de veille, nous lui parlons du tamtam, en la priant de nous en décrire la forme, la couleur, la grandeur, l’usage, etc. Elle nous dit à plusieurs reprises qu’elle le voit très net-

  1. Revue scientifique, janvier 1885.