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à comprendre, comme quelqu’un qui retrouve le fil de ses idées, et ainsi de suite, presque indéfiniment.

Nous ne savons pas si nous parvenons à donner une idée exacte de cette expérience qui, pour un témoin oculaire, est frappante. Il n’y a rien de plus curieux que de voir une malade, qui paraît jouir de l’intégrité de son intelligence, et qui cause avec tranquillité et un certain bon sens, se contredire à chaque minute, répondre qu’elle connaît L… et une minute après répondre qu’elle ne la connaît pas, sans se douter le moins du monde de ses contradictions incessantes. Le délire intellectuel ne peut pas aller plus loin sans devenir inintelligible.

Rappelons qu’il est possible de produire par suggestion la même perte de souvenir que par l’aimant ; ce qui distingue les deux cas, c’est que l’amnésie suggérée n’est pas soumise à ces oscillations consécutives qui sont le signe caractéristique de l’aimantation. On peut ajouter une autre différence, qui peut-être n’est pas auss constante, mais que nous avons relevée chez nos sujets. Un jour, nous avions donné à l’un d’eux l’hallucination d’un serpent, en lui montrant un tube de caoutchouc ; cette hallucination est une des plus vives qui existent. Voulant effacer complètement le souvenir pénible que la malade en conservait, nous l’endormons de nouveau, et nous essayons, pendant le somnambulisme, de lui persuader qu’elle n’a pas vu de serpent. Elle résiste à la suggestion avec une énergie extrême, répétant à chacune de nos affirmations : « Oui, j’ai vu le serpent ; oui, je l’ai vu ; oui, je l’ai vu. » Au bout de cinq minutes, la résistance n’avait pas diminué d’un degré. Nous avons alors l’idée d’appliquer l’aimant derrière la tête du sujet, et très rapidement l’esthésiogène réalise l’amnésie que la suggestion verbale avait été impuissante à déterminer. Le souvenir du serpent est si bien détruit que la malade, à son réveil, peut toucher le tube de caoutchouc sans que l’hallucination renaisse. Ce fait démontre que, dans certains cas au moins, l’action physique de l’aimant a plus de force que l’action mentale de la suggestion.

Comparons l’amnésie par l’aimant aux autres phénomènes de polarisation. Cette expérience est-elle absolument nouvelle pour nous ?

Nullement ; elle offre, bien au contraire, une analogie complète avec la polarisation d’une hallucination bilatérale, ou la polarisation d’une vision réelle. L’aimant supprime le souvenir comme il supprime la vision imaginaire, comme il supprime la vision réelle. Cette analogie d’effet se comprend, car tous ces phénomènes ont un fond commun. Qu’est-ce qu’un souvenir ? une image. Qu’est-ce qu’une hallucination ?