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GUYAU. — l’évolution de l’idée de temps

dans l’esprit une sorte de traînée lumineuse analogue à celle que laissent dans le ciel les étoiles filantes. Au contraire, un état fixe apparaît toujours avec la même netteté, dans le même milieu, comme les grands astres du ciel. Ajoutons donc encore aux éléments qui précèdent les résidus, de netteté et d’intensité différentes, laissés dans la mémoire par le changement, et nous aurons alors tout ce qui, dans le temps, n’est pas le changement même saisi sur le fait ou ce que nous avons appelé le cours du temps.

Reste à faire courir et couler le temps dans la conscience ; il faut que, dans ce lit tout prêt fourni par l’imagination, quelque chose d’actif et de mouvant se produise pour la conscience. Jusqu’à présent nous avons fait de la pensée quelque chose de tout passif, où vient se refléter une variété d’objets ayant des degrés divers, avec des résidus disposés en un ordre d’accroissement ou de décroissance, le tout en quelque sorte fixé ; essayons maintenant de montrer la part de l’activité, c’est-à-dire de la réaction cérébrale et mentale.

III
Fond actif de la notion de temps : sa genèse. Part de la volonté, de l’intention et de l’activité motrice. Présent, avenir et passé. L’espace, comme moyen de représentation du temps.

Le cours du temps se ramène, dans l’esprit adulte, à trois moments qui s’opposent entre eux et qui sont le présent, le futur, le passé. Tout d’abord, sous l’idée de présent, se trouve celle d’actualité, d’action, qui ne semble nullement une idée dérivée de celle du temps, mais bien une idée antérieure. L’action enveloppe le temps, soit, et l’actuel enveloppe le présent, mais la conscience de l’actuel et de l’action ne provient pas du temps. Le présent même n’est pas encore le temps ou la durée, car toute durée, tout cours du temps, pouvant se décomposer en présent et en passé, consiste essentiellement dans l’addition de quelque chose à la pure et immobile idée du présent. Cette idée même du présent est une conception abstraite, dérivée, qui n’existait à l’origine qu’implicitement dans celle de l’action, de l’effort actuel. Le vrai présent, en effet, est un instant indivisible, un moment de transition entre le passé et le futur, moment qui ne peut être conçu que comme infiniment petit, mourant et naissant à la fois. Ce présent rationnel est un résultat de l’analyse mathématique et métaphysique : le présent empirique d’un animal, d’un enfant, et même d’un adulte ignorant, en est très éloigné ; c’est un simple morceau de durée ayant en réalité du passé, du présent et du futur,