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immobile du temps, sa forme ; 2o de l’activité motrice et de la volonté, qui, selon nous, fournit le fond vivant et mouvant de la notion du temps. Les deux éléments réunis constituent l’expérience du temps.

I
Période de confusion primitive.

Que l’idée de temps, telle qu’elle existe aujourd’hui dans l’esprit adulte, soit le résultat d’une longue évolution, c’est ce qu’il est difficile de nier. À l’origine, le sens exact du passé est bien loin d’exister chez l’animal et chez l’enfant comme il existe chez l’homme. Il comprend une période de formation. Nos langues indo-européennes ont la distinction du passé, du présent et du futur nettement fixée dans les verbes ; l’idée de temps se trouve ainsi imposée a nous par la langue même, nous ne pouvons pas parler sans évoquer et classer dans le temps une foule d’images. Des distinctions même assez subtiles entre tels ou tels aspects sous lesquels se présente a nous la durée, comme le futur et le futur passé, le parfait, l’imparfait et le plus-que-parfait, pénètrent peu a peu dans l’esprit des enfants ; encore n’est-ce pas sans difficulté qu’on les leur fait comprendre. Enfin on leur donne mille manières de distinguer les divers moments du temps cours du soleil, horloges sonnantes, minutes, secondes, heures, jours. Toutes ces images sensibles entrent peu à peu dans la tête de l’enfant et l’aident à organiser la masse confuse de ses souvenirs. Mais l’animal, l’enfant qui ne sait pas parler éprouvent sans doute des difficultés bien grandes pour se représenter le temps. Pour eux il est probable que tout est presque sur le même plan. Toutes les langues primitives expriment par des verbes l’idée d’action, mais toutes ne distinguent pas bien les divers temps. Le verbe, en sa forme primitive, peut servir également à désigner le passé, le présent, ou le futur. La philologie indique donc une évolution de l’idée de temps.

Il en est de même de la psychologie comparée. L’animal, l’enfant même ont-ils vraiment un passé, c’est-à-dire un ensemble de souvenirs mis en ordre, organisés pour ainsi dire de façon a produire la perspective des jours écoulés ? Il ne le semble pas. On dit souvent qu’un enfant, qu’un homme a de la mémoire lorsqu’un ensemble d’images est très vivant chez lui. Sous ce rapport un animal peut avoir une mémoire aussi bonne et parfois même meilleure que l’homme. C’est une affaire de mécanique pure : tout dépend de la force de l’impression reçue comparée avec la force des autres im-