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le souvenir de ses récentes études sur Schopenhauer, et c’est « pour exprimer la vérité à ceux qui la peuvent recevoir et sont exempts de préjugés, que cet écrit a vu le jour ».

Suivant l’auteur, dont je n’ai point à critiquer ici l’opinion, l’on donne à tort, dans la doctrine de Schopenhauer, la première place et l’importance capitale au pessimisme. « Le résultat final de la philosophie kantienne, s’il faut l’exprimer brièvement et avec précision, c’était cette conclusion si décourageante pour la connaissance humaine, mais extrêmement riche en conséquences, que nous sommes en état de connaître seulement les apparences des choses (phænomena), non la chose en soi (noumenon). L’idéalisme de Fichte, la philosophie de l’identité de Schelling et l’absolu hégélien doivent à ce principe leur naissance ; mais tandis que ces divers systèmes les uns après les autres et les uns à côté des autres revendiquaient âprement la prépondérance, et qu’on s’inclinait presque généralement surtout devant l’hégélianisme, Schopenhauer, en silence et dans l’obscurité, avait poussé jusqu’au terme en son esprit la grande idée de Kant, et levé le voile qui jusque-là avait dérobé à nos yeux la chose en soi (p. 51). La chose en soi, le fondement dernier, c’est la volonté. « Le pessimisme n’est au fond que l’accessoire, ou du moins la construction postérieure, qui, sans préjudice des fondements, peut toujours être supprimée. » (p. 61.) La grande originalité de Schopenhauer, sa doctrine fondamentale n’est pas là ; elle est dans cette recherche du noumène, relégué, par Kant dans le domaine de l’inconnaissable ; elle est dans cette conception qui place la raison au second rang, pour faire de la volonté le fondement immédiat de la connaissance et du monde, c’est-à-dire de l’esprit et de la réalité objective la chose en soi, directement connaissable, racine du moi, de l’activité, base du système « cosmologique et anthropologique. » « Ainsi le voile de la Maya (telle que les anciens Hindous la représentent) tombe à nos yeux, et découvre la véritable essence des choses. » (p. 53.)

Le sincère enthousiasme de l’auteur l’empêche, semble-t-il, de voir que le problème est déplacé ; Kant le pose sur le terrain de la conscience, Schopenhauer le détourne sur un autre point ; si forte que peut être la réponse, est-elle complète et décisive ?

Il aurait été préférable que le docteur Asher s’en tînt à l’analyse des idées du maître. Il nous dévoile, dans la troisième division de l’ouvrage, sa pensée de derrière la tête. Au fond, son écrit est un plaidoyer, sous des formes, inattendues et par des voies extraordinaires, en faveur du sémitisme. Justement froissé dans sa sympathie pour ses coreligionnaires par les excès des agitateurs antisémites, il espère, en montrant que Moïse s’accorde avec Schopenhauer, accroître le respect, aviver la sympathie pour la race dont il est membre, pour la religion qui demeure au fond puissante et vivace sur son esprit et dans son cœur. Toute la démonstration nous dit (ce que nous soupçonnions déjà) que la doctrine de Moïse établit l’idée de l’unité divine. Mais non l’idée d’un