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ANALYSES.a. seth. De Kant à Hegel.

séparable de la conscience comme le sont les cent dollars. Au contraire, si l’idée de Dieu est inséparable de la conscience, comme telle, cette existence dans la pensée lui donne toute la réalité désirable. Mais alors la notion contradictoire d’une cause première disparaît pour faire place à la notion de cause finale. Dieu n’est plus la cause, mais la raison du monde ; l’idée est le sens, la raison d’être de l’univers. Ainsi le dualisme ne peut disparaître que pour une philosophie synthétique qui place dans l’idée toute la réalité. Hegel détruit ce dualisme en concevant tout le procès historique comme l’œuvre même de Dieu.

La position métaphysique de Hegel se résume en ceci : La pensée est reconnue comme absolue, elle est l’unité dans laquelle toutes les oppositions ne sont plus que relatives. Elle est la source de toutes les distinctions, et constitue l’objet de la philosophie. La philosophie devient alors « l’explication de Dieu, » et ne se distingue plus de la religion. — Le motif de toutes les religions est de réconcilier l’homme avec Dieu, mais il ne peut y avoir réconciliation, s’il n’y a eu auparavant rupture et éloignement.

Le dogme de la Trinité nous montre d’une façon symbolique comment s’est accomplie la rupture et comment doit s’opérer la réconciliation. Dieu d’abord se distingue de lui-même et engendre son Fils, puis il reconnaît l’identité de son Fils avec lui-même, et cette connaissance constitue l’Esprit. Voici comment Hegel rapporte cette conception à sa philosophie. La vie divine, pour échapper à l’insipidité, a besoin de patience, d’effort, de négation. La négation de lui-même que conçoit Dieu, est le monde, aussi nécessaire à Dieu que Dieu l’est au monde. « Sans le monde, Dieu ne serait pas Dieu. » Le monde contemplé dans sa perfection idéale est le Fils éternellement et essentiellement un avec Dieu. En se réalisant, le monde se sépare de cette perfection, devient fini, et se détermine dans l’espace. Cette distinction doit ensuite être ramenée à l’unification, mais cette unification ne peut s’opérer que graduellement, c’est-à-dire dans le temps. La réconciliation ne peut s’effectuer que dans la sphère de l’esprit et c’est là que se montre le conflit du bien et du mal. Dans l’état de nature, l’homme n’est qu’un complexus de désirs animaux. L’idée de sa destinée crée en lui la conscience morale et cette conscience forme le passage entre l’être et le devoir-être. L’homme, partie de la nature séparée de Dieu, est d’abord mauvais, mais ne le sait pas, puis il prend conscience de sa méchanceté. Cette connaissance lui montre qu’il peut échapper à la méchanceté de sa nature et le rend responsable. L’homme n’est plus alors identique à ses désirs. La conscience de la différence qui existe entre son essence et ses désirs fait souffrir l’homme et il sent le besoin d’une réconciliation. Cette souffrance constitue la conscience du péché et c’est cette souffrance qui a été la source des efforts continuels de l’homme, tels qu’ils se manifestent dans l’histoire. L’établissement de cette réconciliation est le but de l’Église chrétienne, de ses sacrements et de ses pratiques. Le baptême indique que l’enfant n’appartient pas