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Kant l’a exposée dans le livre intitulé : Religion dans les limites de la raison.

L’auteur ne faisant ici que résumer le livre de Kant et ce livre se trouvant à la portée de tous, il nous paraît tout à fait inutile de résumer un résumé. Nous nous contenterons donc d’exposer ses conclusions.

Kant s’est séparé sur deux points de la croyance commune du XVIIIe siècle : 1o Le xviiie siècle croyait que la raison conduisait à la démonstration de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme ; tout ce qui dépassait ces deux dogmes naturels n’était à ses yeux qu’une superstition imposée par l’imposture des prêtres. Kant montre au contraire que le but de l’humanité est l’établissement du royaume de Dieu. Les croyances positives servent à l’humanité de fil conducteur pour atteindre ce but. Les systèmes historiques ne sont plus à ses yeux de pures illusions, mais les degrés par lesquels l’esprit humain s’est élevé à sa position actuelle. Il ne nie pas la possibilité des miracles et de la révélation ; sans affirmer leur existence, il dit que la religion a droit au respect, et qu’on ne doit pas la réfuter par des railleries. — 2o Le xviiie siècle croyait que l’homme est né bon et qu’il s’avance par un progrès continu vers des destinées de plus en plus hautes. Kant répudie cet optimisme béat. Il voit le fondement de la religion dans la conscience du péché présent et de la misère qui en est la suite. Il reconnaît que la conscience morale est d’accord en cela avec la conscience religieuse. L’homme est forcé de reconnaître la justice de sa punition présente et d’admettre qu’il n’a pas droit au bonheur. La conscience du péché amène la conscience du besoin de réconciliation et de sacrifice. Tel est le fondement de la croyance religieuse à la chute et à la rédemption.

Cependant, malgré que Kant soit évidemment en progrès sur les penseurs ses contemporains, on ne peut regarder sa théorie religieuse comme entièrement satisfaisante. Malgré les vues ingénieuses qu’elle contient, cette théorie n’engendre pas la conviction. Cela vient de ce que Kant a trop séparé la métaphysique de la morale. La religion n’est pas seulement un ensemble de doctrines morales, elle repose aussi sur des doctrines métaphysiques. À ce point de vue, la philosophie hegelienne de la religion présente sur la théorie de Kant un incontestable avantage. — D’abord l’origine radicale du mal, que Kant rapporte à un acte intelligible, s’exerçant hors du temps et dont les conséquences se déroulent dans le temps, est complètement inintelligible. De plus et surtout, le Dieu que considère Kant dans sa philosophie de la religion, le Dieu qu’adore le croyant et qui lui impose ses volontés est un Dieu considéré comme la cause première du monde, distinct et séparé du monde et du Moi. Or, c’est justement ce Dieu, considéré comme une chose ou un objet, que la Critique de la Raison pure a démontré contradictoire. L’idée d’un tel Dieu ne démontre pas plus son existence réelle que l’idée de cent dollars ne démontre leur existence. Mais cette critique ne porte que sur Dieu considéré comme une chose ou un objet