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notre croyance à l’immortalité. Il serait cependant inexact de dire que l’idée n’est rien : en un sens elle est tout, car c’est elle qui est la cause de notre mouvement, en nous inspirant la poursuite d’elle-même. Qu’y a-t-il de plus réel, l’idée, ou ce qu’elle crée ? — Mais n’est-il pas impossible de fonder l’existence sur quelque chose qui n’existe pas encore et même qui ne doit jamais exister ?

La perception de cette difficulté transforme une dernière fois le système de Fichte. Il analyse profondément la conscience religieuse et s’efforce de faire une théorie de la religion avec la philosophie. La religion, selon Fichte, a surtout pour objet l’union de l’homme avec Dieu. « L’homme religieux, dit-il, a Dieu toujours présent et il vit en lui. » Le but de la moralité lui apparaît comme la volonté de Dieu. Ici, Fichte considère Dieu comme quelque chose de transcendant, comme un être dont l’essence est inconnaissable.

C’est ainsi que Fichte aboutit à un dogmatisme de même nature que celui qu’il a si vivement critiqué, et cela n’est pas étonnant : Fichte est toujours resté sous le joug métaphysique ; c’est toujours par l’unité inconnaissable du Moi-Absolu qu’il a prétendu tout expliquer, le Moi pratique, la conscience et le Non-Moi. Or, ce Moi-Absolu auquel tout se réfère, est un être sans attributs, un être qui n’est rien, un pur noumène semblable à ceux que Kant avait conservés. C’est à cette impasse que doit aboutir toute philosophie qui cherchera dans l’objet autre chose qu’une synthèse de qualités qui ne peuvent jamais être complètement connues, mais qui ne sont pas pour cela tout à fait inattingibles. Toute philosophie de cette sorte aboutit infailliblement à ce paradoxe, que le réel est ce qui ne peut être connu. Fichte amène à son comble l’absurdité de cette métaphysique, quand il affirme que l’impuissance de l’homme à connaître Dieu est en réalité son impuissance à se connaître soi-même. « Il ne peut se voir lui-même tel qu’il est ; sa vue ne peut jamais égaler son propre être. »

Les deux faiblesses principales du système de Fichte sont : 1o sa préoccupation exclusive de la moralité, ce qui lui fait nier la réalité de l’idée, négliger l’expérience et ce qui est, pour ne s’attacher qu’à ce qui doit être ; 2o la tendance à chercher un fond transcendant au Moi intelligent. — C’est bien lui qui fonde l’idéalisme allemand. Sa mission historique a été de trouver une expression claire et juste de la position fondamentale de l’idéalisme — la relation nécessaire de toute existence à la conscience de soi. Son défaut est précisément d’avoir voulu tout déduire de la conscience du Moi. Il néglige la connaissance expérimentale de la nature et de l’histoire. Schelling complète son système par sa philosophie de la nature, Hegel le complète de la même façon, par sa philosophie de l’histoire.

On désigne ordinairement la philosophie de Schelling, sous le nom de Philosophie de la Nature. C’est par là qu’elle forme un anneau de la chaîne historique. L’idée dominante de cette philosophie consiste à montrer la nature comme le progrès de l’intelligence vers la conscience.