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ANALYSES.a. seth. De Kant à Hegel.

qui est posé dans le Moi ; dans le dogmatisme, la chose est ce dans quoi le Moi lui-même est posé. Le criticisme est immanent, le dogmatisme, transcendant. Le dogmatisme n’a pu expliquer la possibilité de la connaissance parce qu’il a considéré l’objet comme une chose absolue lue ou transcendante. Cependant, même aux yeux de l’idéalisme, le Non-Moi doit exister. Il faut donc que le Non-Moi soit la limite ou la négation du Moi, existant seulement pour le Moi. Mais, comment le Moi est-il amené à s’opposer un Non-Moi, à donner une limite à son activité ? Pour expliquer cela, il faut dépasser la Doctrine de la Science et entrer dans le domaine de la Morale. — Dans la Critique de la Raison pure, Kant avait fait reposer la connaissance tout entière sur l’unité de la perception ; Fichte reconnaît aussi une unité fondamentale latente sous tout acte perceptif, cette unité est un Moi, mais un Moi distinct du Moi en tant qu’intelligence qui s’oppose le Non-Moi, c’est donc un Moi-Absolu. — D’un autre côté la raison pratique exige pour fonder le devoir, l’autonomie de la volonté. Mais, pour que la loi morale soit universelle et absolue, il faut que la volonté qui la pose soit aussi absolue, c’est donc encore le Moi-Absolu qui est le principe du devoir. Ainsi s’opère dans le système de Fichte l’unification des deux raisons qui restait un desideratum du criticisme Kantien.

Or, qu’exige maintenant la loi morale qu’a ainsi posée le Moi-Absolu ? Que le Moi pratique la réalise.

La liberté et l’activité sont les caractères essentiels par lesquels Fichte définit le Moi. L’activité du Moi pratique devient le seul principe qui puisse expliquer l’existence du monde intelligible. La moralité ne peut exister sans effort, le Moi ne peut donc être moral sans s’efforcer. Or, pour s’efforcer, il a besoin de quelque chose autre que lui, qui s’oppose à lui. Le Non-Moi est donc nécessaire à la réalisation de la propre existence du Moi-Absolu. Le choc de l’opposition (Anstoss), explique la finitude de la conscience humaine, et la conscience-de soi elle-même ne pourrait exister sans cette opposition. Le fait de conscience (feeling) original, n’en reste pas moins la seule réalité. Le Non-Moi n’existe que par rapport au Moi, mais l’esprit voit en lui une noumène nécessaire.

Cet idéalisme, dit Fichte, n’est point dogmatique, mais pratique, il ne détermine pas ce qui est, mais ce qui doit être. Les choses en soi sont ce que nous les avons faites. La réalité originelle n’est pas le Moi-Absolu, c’est le Moi pratique ; le devoir est le premier principe, l’idéal, que s’efforce de réaliser le Moi pratique, Le Moi-Absolu apparaît au fond de la conscience de l’effort, comme un idéal, l’idéal d’une existence parfaite que nous devons travailler à réaliser. Le Moi-Absolu n’est donc pas en fait, il est l’ « idée du Moi » ; cette idée est un éternel devenir. De sa nature, elle est irréalisable, parce que sa réalisation impliquerait la suppression de l’opposition ; or, cette suppression aboutirait à la cessation de l’effort et sans effort il n’y a ni conscience, ni moralité. Nous pouvons donc approcher indéfiniment de l’idéal, mais nous ne pourrons le réaliser jamais. Cette impossibilité est le fondement de