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Nous ne les voyons plus du dehors, mais du dedans ; Kant croyait avoir ruiné la métaphysique, il n’a fait qu’en fonder une nouvelle, basée sur la puissance créatrice de la pensée. Fichte soutenait en effet que son propre système n’était que la doctrine kantienne parfaitement entendue, que le criticisme pur poussé jusqu’à ses dernières conséquences. Il veut surtout faire un système cohérent, dont toutes les parties soient le développement d’un seul principe. Celui qu’il adopte est le principe auquel a abouti l’analyse kantienne de la connaissance. Fichte va développer maintenant synthétiquement ce principe.

On ne peut dériver, dit Fichte, la sensation de l’inintelligible, « Ding-ansich ». Ce n’est donc pas la chose en soi qui constitue le donné, ce qui doit expliquer la connaissance, le principe de la philosophie. Le vrai principe, le fait au-delà duquel on ne peut remonter est l’unité de la perception, le Moi. On peut toujours demander la raison ou la cause d’un fait objectif, mais non de la conscience de soi, qui est la condition de tous les autres faits, et est elle-même inconditionnée. Aussi longtemps que nous nous représentons Dieu comme un sujet hors de nous et séparé de la conscience, la nécessité inconditionnée de son existence est, comme l’a montré Kant, l’abîme de la raison humaine. Dieu étant devenu une chose, nous demandons nécessairement sa cause. Nous sommes alors acculés à cette question enfantine : Qui a fait Dieu ? Cette contradiction s’évanouit en face de la thèse absolue, dans laquelle l’unité de la conscience s’affirme elle-même comme la condition antécédente et nécessaire d’une existence intelligible. Il n’y a plus dès lors que deux systèmes métaphysiques, le dogmatisme, qui veut tout expliquer par les choses en soi, et l’idéalisme, qui fait tout dériver de la pensée. Pour réfuter le dogmatisme, il suffit de remarquer que l’expérience ne peut vérifier l’existence de la chose en soi ; la conscience certifie seulement l’existence d’une chose pour elle. Le dogmatisme peut expliquer les relations mécaniques des choses, mais il ne peut passer des choses à la conscience des choses. Pour expliquer cette conscience, il faut poser l’acte ou le fait de la conscience de soi comme point de départ. — La conscience de soi n’est pas une chose, une unité, un esprit ; les idées ne sont pas des choses ; nous ne serions pas sortis du dogmatisme et Berkeley n’en est pas sorti. L’intelligence n’est pas une chose, mais une action déterminée par des lois que nous avons à découvrir.

Le Fondement de la théorie de la science commence donc par développer les conditions de l’intelligence. On voit bientôt que le Moi ne peut se poser sans s’opposer un Non-Moi. On peut distinguer le sujet de l’objet, mais ils sont au fond identiques. La thèse et l’antithèse ne sont pas en réalité des actes séparés, mais des moments d’un acte indivisible. L’antithèse n’est pas une cosmogonie, une construction originale de l’univers, mais simplement une forme logique issue de l’intelligence ou de la conscience de soi. Le monde n’existe pas hors du Moi.

Toute réalité réside dans la conscience. C’est là ce qui distingue le système critique du dogmatisme. Dans le criticisme, la chose est ce