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ANALYSES.a. seth. De Kant à Hegel.

soit possible ? La réponse à cette première question donnera la Critique de la Raison pure. Quelles sont les présuppositions qu’enferme la vraie notion de l’action morale ? La réponse à cette seconde question formera la Critique de la Raison pratique. Comment, ou à quelles conditions le sentiment du beau et l’idée de la coordination organique sont-ils possibles ? La réponse à cette troisième question sera la Critique du Jugement.

Pour ne parler que de la Critique de la Raison pure, elle est une contribution à la théorie de la connaissance. Kant prend l’esprit humain tout formé et distingue le fait du droit, le fait de la connaissance de la condition sans laquelle la connaissance ne peut exister. Il découvre ainsi que « le Moi statique et permanent de la pure perception » est la condition fondamentale de la possibilité de toute expérience. La connaissance de soi-même réclame, comme postulat indispensable, un monde connaissable. C’est sur cette dualité entre l’esprit et les choses que Hume avait fondé son scepticisme. Cependant la position de la question a changé. Pour Hume, la connaissance tout entière vient de l’expérience ; pour Kant, le principal facteur de la connaissance est une synthèse active, opérée par l’esprit. Il admet cependant hors de l’esprit, comme un noyau de matière qui sert à exciter la sensation. Ce noyau de matière, ce résidu, est la chose en soi « Ding-an-sich ». Le dualisme subsiste donc et les successeurs de Kant ne manqueront pas de le remarquer. Le service que Kant a rendu à la philosophie n’est plus dans-sen-criticisme, mais dans la découverte qu’il a faite de la division de la connaissance en éléments subjectifs et en éléments objectifs. Avant Kant, le sujet et l’objet étaient séparés ; après lui, ils sont unis. La réalité de l’univers consiste dans le système de nos conceptions.

Kant réfute très bien la Psychologie de Wolf, qui abstrait hors du moi empirique l’existence d’une conscience séparée. Cette conscience est alors une conscience qui ne pense rien. Le moi du sujet transcendantal ne peut être connu séparé de ce qu’il connaît. Il est le corrélatif de toute existence. Kant détruit ainsi le vieux dogmatisme. Mais d’un autre côté, il ne semble pas être parvenu à s’affranchir complètement lui-même du mode dogmatique de penser, car il croit constamment que, derrière le moi phénoménal, se trouve un substantiel, un moi nouménal qu’il est impossible de connaître. C’est ainsi qu’on arrive à trouver que Kant, dominé par la pensée de la chose en soi, a admis l’existence de trois Moi : le Moi-en-soi, le Moi transcendant et le Moi individuel et phénoménal.

Mais Kant nous emporte toujours au-delà de son propre point de vue. Rien ne peut être connu qu’à l’aide des catégories, aucun objet ne peut être pensé hors des autres objets, ni hors du moi, puisque tout est connu dans l’absolue unité de la perception. C’est sur ce point que s’appuiera Fichte et, après lui, tous les successeurs de Kant. Le monde n’est plus alors qu’une pensée du Moi, et Dieu n’est plus que le Moi universel. L’homme, le monde et Dieu ne sont plus séparés, mais unis.