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J’applique contre lui un aimant que je laisse pendant huit minutes : aucun phénomène ne se produit.

Alors, m’adressant à M. Beaunis, je dis : « Maintenant je vais appliquer l’aimant (par le bon côté !) contre la main droite, et, au bout d’une minute, vous allez voir cette main se soulever avec le bras, prendre exactement l’attitude qu’a le membre supérieur, gauche, tandis que celui-ci va tomber ». Je replace l’aimant exactement comme la première fois, et, au bout d’une minute, le transfert (suggéré) se réalise avec une précision parfaite : la figure de l’hypnotisée reste impassible.

Si alors, sans plus rien dire, je remets l’aimant contre la main gauche, au bout d’une minute, le transfert se reproduit en sens inverse et ainsi de suite. Je provoque chez la même personne un torticolis par contracture des muscles d’un côté du cou : j’approche l’aimant du côté opposé, sans rien dire ; au bout d’une minute, la tête se tourne du côté de l’aimant ; il se produit un torticolis inverse, le transfert est opéré. Il avait suffi que j’affirmasse une seule fois à M. Beaunis le phénomène du transfert, devant le sujet en apparence inerte, mais en réalité conscient et attentif pour que ce phénomène se réalisât désormais toujours et pour toutes les attitudes : car l’idée du phénomène avait pénétré dans le cerveau. Je dis ensuite : « Je vais tourner l’aimant dans un autre sens et le transfert va se faire du bras à la jambe. Au bout d’une minute, en effet, le bras tombe et la jambe se soulève. Je replace l’aimant contre la jambe, sans rien dire, et le transfert se reproduit de la jambe au bras. Si, sans rien dire au sujet, je remplace l’aimant par un couteau, un crayon, un flacon, un morceau de papier, le même phénomène se produit.

Le lendemain je refais ces expériences sur une autre somnambule qui avait assisté à celles de la veille, et sans rien lui dire, sans rien dire devant les personnes présentes ; elles réussirent à merveille ; l’idée du transfert avait été suggérée à son cerveau par le fait dont elle avait été témoin.

Chez aucun hypnotisé, je le répète, je n’ai vu aucun transfert se produire par la seule application de l’aimant, avant que l’idée du phénomène eût pénétré dans son cerveau. Chose remarquable ! Les somnambules n’ont conservé à leur réveil aucun souvenir conscient de ce qui s’est passé pendant leur sommeil. Et cependant alors, si, sans rien dire, chez ceux qui sont suggestibles à l’état de veille, je répète ces expériences de transfert (faites avec suggestion pendant leur sommeil) avec un aimant, ou un corps quelconque, les mêmes phénomènes de transfert se réalisent, à leur grand étonnement ! preuve que le cerveau a conservé dans l’état de veille le souvenir inconscient des phénomènes suggestifs provoqués dans l’état hypnotique, ce que d’autres expériences m’avaient déjà appris.

À ces faits que j’ai communiqués à la Société de Biologie, MM. Féré et Binet répondent en note dans la Revue philosophique, « qu’elles démontreraient très bien les effets de la suggestion inconsciente, s’ils