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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

travail les uns après les autres. Si la collection aristotélique avait péri-nous parlons des sciences naturelles — il faudrait regretter un document des plus intéressants pour l’histoire de l’esprit humain au temps d’Alexandre, mais la science d’aujourd’hui ne serait pas moins riche, sauf, de quelques notions sur la faune méditerranéenne d’il y a deux mille ans, que n’aurions pas autrement : l’humanité eût reconstitué sans peine le patrimoine des vérités perdues avec les livres aristotéliques. La biologie moderne n’en aurait pas moins trouvé ses voies : car ces voies ont été rouvertes en dehors de la tradition du Stagirite, pour l’anatomie et la physiologie comparées dès Galien, pour l’anatomie générale par Bordeu et Bichat, pour la zoologie par Belon et les naturalistes du xvie siècle.

Aristote peut exciter notre curiosité et notre admiration. Il n’est pas de nos maîtres : la science moderne ne procède pas de lui. Bayle a fait d’un mot le procès du Péripatétisme « qui accoutume l’esprit à acquiescer sans évidence ». C’est qu’en effet cette philosophie n’est pas de celles qui enchaînent les vérités les unes aux autres en trame solide, qui agrandissent peu à peu mais sûrement le domaine du vrai, qui peuvent s’égarer pendant un temps, mais retrouvent toujours finalement le chemin droit. Aristote triomphe au temps de la scholastique, qui fait presque un père de l’Église de cet Athénien condamné pour athéisme ; mais c’est d’ailleurs que la Renaissance et l’esprit moderne recevront leur impulsion.

Le fils du médecin de Stagira a pu être un dialecticien incomparable, un encyclopédiste prodigieux, même un observateur profond des choses de la nature, il possède le génie et l’intuition qui fait les grands hommes de science : nous accordons tout cela. Mais la science, la vraie science, armée de ses sûres méthodes pour la conquête du monde, est ailleurs : elle est dans une école rivale, dont les doctrines malheureusement ne sont arrivées à nous que par lambeaux, par les citations de ceux qui les ont combattues, ou par l’écho d’un poëte latin. Nous voulons parler de la philosophie de Leucippe, de Démocrite et d’Épicure. Aristote se place dans le temps exactement entre ces deux derniers.

Le Lycée est finaliste, tout dans la nature existe en vue d’un but déterminé, raisonnable ; tout arrive en vertu d’un ordre que les Péripatéticiens n’appellent ni « providentiel », ni « divin », mais qui le deviendra au contact des idées sémitiques ou chrétiennes. Ils reprochent à Démocrite et à ses disciples d’être ce qu’on pourrait appeler causalistes, de n’attacher d’importance qu’à la recherche des conditions où s’accomplissent les phénomènes, au lieu de s’appliquer à en découvrir le but, à être providents, comme ils se croient eux-mêmes.