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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

Quant à l’origine première de l’Homme et des autres Sanguins, la question qui se pose, est de savoir s’ils sont provenus, à l’origine, d’une sorte de scolex, ou d’un œuf parfait c’est-à-dire dans lequel une portion seulement devient le germe en se nourrissant aux dépens du reste. Ce sont là pour notre philosophe les deux seules hypothèses possibles ; rien en dehors d’elles. Mais d’autre part il considère cette production primitive d’un œuf (parfait) comme peu vraisemblable, puisque nous ne la voyons jamais se réaliser ni aucun animal naître de la sorte ; tandis que la seconde origine par scolex est très répandue dans la nature, commune chez les Insectes, presque générale chez les Testacés.

Comment en effet douter que les Testacés naissent spontanément, quand on les voit apparaître par multitudes dans les endroits d’où les eaux se retirent et où l’on n’en connaissait pas jusque là. D’ailleurs certains faits prouvent péremptoirement qu’il en est bien ainsi, comme cette tentative ostréicole — tant il est vrai que rien n’est nouveau — des habitants de Chio, qui avaient transporté de Pyrrha à Lesbos des huîtres et les avaient jetées à la mer dans des localités toutes semblables. Au bout de quelque temps elles avaient grossi mais ne s’étaient pas multipliées (Gen. III, 120). Qu’objecter à une expérience aussi directe ? N’est-ce pas la preuve irréfutable que les huîtres ne se propagent pas elles-mêmes et quelles naissent spontanément dans des conditions favorables existant à Pyrrha et qui ne se retrouvaient pas à Lesbos ? Nous expliquons autrement le fait et nous dirions aujourd’hui que ces huîtres se sont reproduites mais que leur naissain n’a pas trouvé, où on les avait mises, les conditions favorables à sa fixation et à son développement. Nous sommes plus instruits et notre raisonnement est probablement le vrai, tout au moins il serre de plus près la vérité. Mais celui d’Aristote, dans les données de son temps et quand on ignorait tout de la reproduction de huîtres, n’était pas moins juste.

Ainsi qu’on a pu le voir au cours de cette longue étude la biologie est complètement traitée dans la collection aristotélique, sous ses faces diverses. Dans le prodigieux désordre où cette collection est parvenue jusqu’à nous elle laisse pourtant distinguer les grandes lignes d’un système admirablement coordonné. Les êtres vivants se distinguent des corps bruts par des propriétés spéciales qui sont les psychés. Ils sont constitués des mêmes éléments, mais transformés par la nutrition. La nutrition, dont Aristote ne connaît que la moitié, l’assimilation, est le phénomène essentiel de la vie, caractérise la vie et la définit en quelque sorte. Sous ce rapport la science moderne.