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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

œufs que certains squales et les raies y déposent et que ramènent souvent les filets des pêcheurs. Peut-être attribuait-il ces œufs au Crapaud de mer (βάτραχος), notre Baudroie[1], qu’il range parmi les Sélaciens, bien qu’elle ne soit pas vivipare (Gen. III, 47), preuve nouvelle qu’Aristote ne s’astreint jamais, pour rapprocher les animaux, à la considération d’un caractère unique. Mais ici il est trompé par les apparences et la forme un peu aberrante de l’animal. Comment en effet ne pas reconnaître dans le Crapaud « qui pêche avec ses filaments » notre Baudroie, le Lophius piscatorius ? à moins — et l’hypothèse n’aurait rien d’impossible — qu’il s’agisse de quelqu’espèce devenue infiniment rare ou même disparue. Un grand nombre de passages de la collection aristotélique permettent de mesurer à quel point la Méditerranée s’est dépeuplée depuis vingt siècles. Une foule d’espèces qui étaient alors certainement communes, les Baleines, les Phoques n’y existent plus ou du moins y sont devenues infiniment rares.

V. Poissons a ouïes. Les Poissons n’ont pas de cou par la raison qu’ils n’ont pas de poumons (Des parties, IV, 13). Ils n’ont pas de voix non plus, ainsi qu’on l’a vu[2], parce qu’ils ne respirent pas. Ceux qui crient, comme certains poissons de l’Achéloüs, font ce bruit avec leurs ouïes ou avec quelque autre organe (Âme, II, VII, 9). Les Poissons n’ont ni pieds, ni mains, ni ailes (Des parties, IV, 13). Les membres sont remplacés chez eux par des nageoires, et celles-ci seront en conséquence au nombre de quatre, selon la règle des Sanguins. C’est pour cela que les larves des Batraciens qui sont munies de pattes, n’ont pas de véritables nageoires ; car il convient de réserver ce nom (πτερύγια) aux membres pairs seulement : la nageoire caudale n’est qu’un élargissement de l’extrémité du corps chez les Poissons aussi bien que chez les tétards.

Presque tous les Poissons ont des nageoires antérieures ; les postérieures manquent à ceux qui sont allongés. Quelques-uns même, comme la Murène, n’en ont pas du tout et progressent par les ondulations de leur corps dans l’eau, à la façon des Serpents sur le sol. Les Serpents nagent d’ailleurs aussi bien qu’ils rampent. Et Aristote, dont la philosophie explique tout, nous montre à ce propos comment des membres seraient inutiles à des animaux aussi allongés. Trop

  1. Il est même assez singulier qu’Aristote n’ait point eu l’occasion d’observer dans ces œufs un vitellus sphérique suspendu au sein d’un albumen, comme dans l’œuf de la poule ; et qu’il ait pu croire pue les deux substances y étaient mêlées et confondues, ce qui arrive seulement quand ces œufs se sont détériorés dans la mer.
  2. Voy. ci-dessus, p. 55.