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A. BINET et CH. FÉRÉ. — hypnotisme et responsabilité

même temps qu’elle devint mère, se chargeant aussi de démontrer sa prédisposition morbide ; Joséphine, la victime de Castellan, « depuis qu’elle est soustraite à l’influence de cet homme a recouvré à peu près la raison » ; et on est bien forcé de reconnaître que l’héroïne du procès La Roncière était une hystérique. M. Liégeois, quand il dit que l’hystérie chez la femme est une exception rare et qu’elle est presque sans exemple chez l’homme, commet une hérésie scientifique ; et ce n’est pas sans raison qu’il s’attire de la part de M. Franck le reproche de manquer du genre d’instruction que supposent les expériences dont il a rendu compte. Briquet, dans son traité classique de l’hystérie, estime à 50,000 le nombre des femmes hystériques à Paris seulement ; le livre a plus de trente ans de date, et il n’y a guère de raisons de croire que l’hystérie ait diminué depuis. Quant à cette névrose chez l’homme, elle est si peu exceptionnelle qu’on peut en trouver jusqu’à 75 observations dans des thèses qui ne se piquent pas d’être des monuments d’érudition, et notez bien que lorsqu’on applique la qualification d’hystérique à un homme c’est qu’il s’agit bien dûment de la grande hystérie ; la petite est infiniment plus fréquente. Si M. Liégeois avait connu la fréquence de cette névrose, sa thèse en eût tiré quelque profit, car les stigmates permanents de la névropathie sont les seules preuves qu’on puisse apporter à l’appui de la suggestibilité morbide en l’absence de tous les phénomènes objectifs de l’hypnotisme.

IV. Il ne faut pas oublier d’ailleurs que cette catégorie de névropathes présente à l’état normal un certain nombre de troubles psychiques spontanés[1] qui offrent des points de contact multiples avec les phénomènes suggestifs et qui se confondent assez avec l’état mental des hypnotisables pour qu’il nous soit permis de ne pas insister sur ce point.

V. Pour nous résumer, nous dirons que la suggestibilité morbide, qu’elle soit mise en jeu pendant l’hypnotisme, en dehors de l’hypnotisme chez des hypnotisables ou chez des névropathes, ne peut être établie que d’après les caractères physiques fournis par le sujet. Le médecin expert, dont le rôle est d’éclairer la justice et non de lui arracher des coupables, doit se borner à cette étude. Quant à la réalité de la suggestions criminelle, elle doit être établie par d’autres témoignages qu’il appartient aux magistrats d’apprécier.

A. Binet et Ch. Féré.

  1. H. Huchard. — Caractère, mœurs, état mental des hystériques. (Archives de neurologie, t.  III, 1882.) H. Legrand du Saulle. — Les hystériques ; état physique et état mental, actes insolites, délictueux et criminels, in-8o, 1883.