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Dans ces états frustes, « si, comme en convient M. Liégeois, on ne considère que tel ou tel fait particulier, il est vrai qu’il peut être simulé », et M. Liégeois va jusqu’à dire, tant il est peu convaincu de l’objectivité des phénomènes qu’il a observés, que la catalepsie elle-même peut être simulée, ce qui est parfaitement inexact[1] : un sujet normal qui veut conserver une attitude forcée aussi longtemps qu’un cataleptique ne peut dissimuler les phénomènes respiratoires et circulatoires propres à l’effort ; le cataleptique sincère ne les présente jamais. Comment espérer convaincre des juges de la réalité d’un état dont tous les phénomènes peuvent être simulés ? Admettre l’hypnotisme sur des preuves morales serait ouvrir la porte à des abus innombrables et de la plus haute gravité.

Si nous ne pouvons pas, avec M. Liégeois, accorder le droit d’ester en justice à des-états simulables, nous nous associons pleinement à lui lorsqu’il dit en manière de conclusion : « En attendant que la lumière se fasse, les personnes qui rêvent souvent à haute voix et qui semblent à priori plus hypnotisables que les autres, agiront prudemment en ne regardant pas trop longtemps, et avec une trop grande fixité, des étrangers, des inconnus avec lesquels elles : se trouveraient seules, par exemple dans un compartiment de chemin de fer. » Cette déduction qui se trouve en parfait accord avec la civilité-la plus puérile, pourrait même être généralisée avec avantage. Elle contient du reste une constatation qu’il importe : de relever ; M. Liégeois en a méconnu la valeur : elle aurait pourtant été un point d’appui pour sa thèse. Les personnes qui rêvent souvent à haute voix semblent, dit-il, plus hypnotisables que les autres. Que sont donc les personnes qui rêvent souvent à haute voix ? Ce sont bel et bien des névropathes, et, autant que nous pouvons en juger par une pratique déjà longue de l’hypnotisme, tous les sujets hypnotisables offrent des stigmates de névropathie soit dans leur état actuel, soit dans leurs antécédents, et la plupart appartiennent par leur hérédité à la famille névropathique[2]. M. Bernheim a soutenu, il est vrai, qu’il n’avait expérimenté que sur des sujets sains ; mais M. P. Janet n’a pas eu de peine à lui démontrer[3] que, dans ses propres observations, il s’agissait de névropathes officiels. Si les sujets de MM. Bernheim, et Liégeois sont sains pourquoi leur appliquerait-on des lois d’exception ?

M. Liégeois rapporte, d’après le docteur Bellangé, le fait d’une fille violée dans le sommeil somnambulique qui devint folle en

  1. Charcot. — Leçons cliniques sur les maladies du système nerveux, t.  III, 1883.
  2. Ch. Féré — La famille névropathique. (Arch. de neurologie, 1884, t.  VII.)
  3. P. Janet. — Revue politique et littéraire.