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A. BINET et CH. FÉRÉ. — hypnotisme et responsabilité

sistent : Si dans le sommeil somnambulique on suggère à un hypnotique que il y a deux ans, tel jour, à telle heure, dans tel endroit, il a vu tel individu commettre tel crime, après le réveil il affirmera avec la plus grande sincérité qu’il a vu, et ce souvenir d’un fait faux pourra persister un temps indéterminé. De cette suggestion pourra résulter un faux témoignage dont on ne pourrait faire la preuve qu’en établissant matériellement le fait même de la suggestion. Si le fait matériel ne peut pas être établi, la difficulté est à peu près insurmontable ; car on ne peut pas exiger d’un individu qu’il se soumette à l’hypnotisation, pas plus qu’au chloroforme ou à l’épreuve du haschich. Ce que nous venons de dire des phénomènes provoqués pendant l’hypnotisme et persistant après le réveil, on peut le répéter des phénomènes que l’on peut déterminer aussi par suggestion à l’état de veille chez certains hypnotisables sans Les faire passer par le sommeil artificiel.

En somme, dans toutes les circonstances qui viennent d’être passées en revue, et qui ont trait au grand hypnotisme, la question médico-légale se réduit à une étude clinique. L’expert peut établir expérimentalement que tel sujet est ou non hypnotisable et que dans l’hypnotisme ou sous l’influence d’une suggestion hypnotique on peut reproduire sur lui les phénomènes en cause ; mais il ne peut mettre en évidence que la possibilité du fait ; il appartient à l’instruction d’en établir la réalité.

Dans le petit hypnotisme, dans les états décrits sous les noms de fascination, de sommeil magnétique, etc., les sujets paraissent doués d’une suggestibilité particulière ; on peut développer sur eux des états cataleptoïdes, des rigidités musculaires, des attitudes fixes, des paralysies, des anesthésies, des hallucinations diverses, des impulsions ; mais non pas les états spéciaux et nettement caractérisés décrits plus haut sous les noms de catalepsie, de léthargie, d’état de somnambulisme provoqué. Ces sujets n’offrent qu’un très petit nombre de phénomènes somatiques qui n’ont point encore été l’objet d’une étude nosographique régulière. Il faut donc redoubler d’attention et de sévérité dans l’examen des faits, car en dehors des phénomènes physiques, il n’y a aucun critérium. Plusieurs observateurs ont admis comme preuves la bonne foi et l’honorabilité des sujets ; mais ces mots ne répondent à aucun complexus objectif, il n’y a pas à en tenir compte dans une étude médico-légale. Jusqu’à plus ample informé, tout individu qui ne présente aucun caractère physique de l’hypnotisme ne peut pas l’invoquer à son bénéfice. Il est impossible de marquer autrement, dans la pratique la limite de la suggestibilité normale.