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réclamera la réparation d’une violence qui lui aurait été faite pendant le sommeil hypnotique.

Il est une catégorie de faits qui méritent d’appeler l’attention : ce sont les phénomènes qui suggérés, pendant l’hypnotisme, soit dans la catalepsie, soit dans le somnambulisme, soit exceptionnellement dans la léthargie, persistent après le réveil. Ces phénomènes sont soit des illusions, soit des hallucinations, soit des anesthésies ou des paralysies, soit des impulsions irrésistibles provoquées ; la sincérité d’un certain nombre d’entre eux peut être établie comme précédemment, et en particulier par les phénomènes objectifs propres aux hallucinations visuelles.

Les suggestions persistantes peuvent durer plus ou moins longtemps suivant les sujets, et elles sont susceptibles de donner lieu à des actes délictueux ou criminels dont la nature peut varier pour ainsi dire à l’infini ; mais qui conservent le caractère à peu près constant d’une impulsion irrésistible avec conscience : c’est-à-dire que le sujet parfaitement présent et ayant la sensation de son identité ne peut lutter contre la force qui le pousse à exécuter un acte que d’ailleurs il peut réprouver. La réalité des faits de ce genre ne peut pas être niée aujourd’hui ; mais lorsqu’il s’agit d’en faire la preuve dans un cas donné la difficulté est très grande : s’il est toujours possible de démontrer qu’un sujet est ou n’est pas hypnotisable, il peut devenir très difficile de démontrer qu’il a été hypnotisé et suggéré dans telle direction longtemps avant l’accomplissement de l’acte incriminé.

C’est ici le moment de se demander si un inculpé qui invoque une suggestion hypnotique pour sa défense, et qui se soumet à l’expérimentation, peut être interrogé avec profit alors même qu’il offre tous les caractères somatiques propres au sommeil somnambulique, et qu’on est sûr d’être à l’abri de toute supercherie. Dans le travail déjà cité de l’un de nous on trouve la preuve que certains sujets sont capables de faire des réticences dans cet état ; et M. Pitres[1] a montré que le mensonge n’est pas impossible. Un hypnotisable peut être en même temps un criminel ; et il ne faut admettre la suggestion qu’autant qu’on en a pu faire la preuve matérielle, ou qu’au moins les faits de la cause permettent de la déduire nécessairement.

Parmi les phénomènes persistants qui peuvent être suggérés, ceux que M. Bernheim a désignées sous le nom d’hallucinations rétroactives[2] méritent d’appeler l’attention ; voici en quoi ils con-

  1. Pitres. — Des suggestions hypnotiques, Bordeaux, 1884.
  2. Bernheim. — De la suggestion dans l’état hypnotique et dans l’état de veille, 1884.