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A. BINET et CH. FÉRÉ. — hypnotisme et responsabilité

les autres, ou mieux encore en les décomposant par syllabes, on arrive à lui faire tracer quelques phrases, avec l’orthographe qu’elle connaît. Mais les lignes sont irrégulières, précisément parce qu’elles sont écrites sous l’influence de suggestions successives et sans lien pour le sujet. Cependant, en prenant soin de rectifier la position de la main, on peut obtenir un autographe à peu près impossible à distinguer de ceux qui sont composés pendant la veille (loc. cit.). On peut donc même dans la catalepsie faire écrire à un sujet des déclarations, des promesses, etc., dont il n’aura plus connaissance lorsqu’au réveil il aura recouvré son identité.

On peut établir la sincérité de l’expérience en s’assurant que des hallucinations qui sont le point de départ d’actes du même genre, sont elles-mêmes sincères. Or cette preuve est possible, car c’est précisément dans les hallucinations provoquées de la catalepsie que l’un de nous a constaté pour la première fois que les objets imaginaires sont perçus tout comme des objets réels. Dans l’hallucination visuelle, si on fait approcher ou éloigner l’objet, on voit la pupille se rétrécir ou se dilater proportionnellement ; or ces mouvements d’accommodation ne peuvent être produits volontairement que par de très rares sujets et dans des conditions connues[1].

C’est là un phénomène qui écarte toute idée de simulation. Ajoutons que, pendant la durée de l’hallucination visuelle, la sensibilité générale de l’œil est profondément modifiée chez certains sujets ; en effet, dans l’état cataleptique, la conjonctive et la cornée, en dehors du champ pupillaire, sont en général insensibles. Sur la plupart des sujets, on peut les toucher avec un corps étranger sans provoquer de réflexes palpébraux ; chez P…, par exemple, sitôt qu’on a développé une hallucination visuelle, la sensibilité des membranes externes de l’œil revient dans l’état où elle existe dans la veille. Ce fait vient à l’appui de ceux qui ont été cités pour établir la corrélation qui existe entre l’état de la sensibilité générale et de la sensibilité spéciale des organes sensoriels, non seulement dans l’hystérie[2], mais encore dans les lésions organiques du cerveau[3], et il peut concourir à l’édification d’une théorie des hallucinations[4].

  1. Ch. Féré. — Mouvements de la pupille et propriétés du prisme dans les hallucinations provoquées des hystériques. Société de biologie, 17 décembre 1881. — Archives de neurologie, 1882, t.  III, p. 291.)
  2. Ch. Fère. — Note sur quelques phénomènes observés du côté de l’œil chez les hystére-épileptiques, soit pendant l’attaque, soit en dehors de l’attaque. (Société de biologie, 29 octobre 1881, et Archives de neurologie, 1882, t.  III, p. 281). — Hémi-hyperesthésie sensitive et hémi-anesthésie sensorielle. (Société de biologie, 5 novembre 1881).
  3. Ch. Féré. — Contribution à l’étude des troubles fonctionnels de la vision par lésions cérébrales, 1882, p. 147, 149, 198, etc.
  4. Binet et Féré. — La théorie des hallucinations. (Rev. scient., 10 janvier 1883.)