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A. BINET et CH. FÉRÉ. — hypnotisme et responsabilité

Comme nous l’avons montré ailleurs[1], le somnambulisme peut être localisé non seulement à un côté du corps, mais même à une région limitée ; et par une série d’artifices dans lesquels on fait intervenir le phénomène du transfert il est possible d’obtenir la même localisation des autres états.

Ces trois complexus constituent ce qu’on peut appeler le grand hypnotisme qui peut se présenter soit à l’état complet, soit à l’état fruste, c’est-à-dire qu’un certain nombre de phénomènes peuvent manquer chez un sujet donné, sans que pour cela l’aspect général soit altéré s’il reste suffisamment de phénomènes caractéristiques.

Mais il faut bien qu’on le sache, ce grand hypnotisme est un état rare : depuis dix ans il n’en a passé qu’une douzaine de cas à la Salpêtrière. Aussi ne sommes nous pas étonnés que certains observateurs ne l’aient pas rencontré, et que par conséquent ils ne retrouvèrent pas tous les phénomènes que nous avons étudiés.

À côté du grand hypnotisme, il existe un certain nombre d’autres états groupés autrefois sous le nom de magnétisme animal et qu’on pourrait désigner sous le nom de petit hypnotisme dont nous ne méconnaissons pas la réalité, mais que nous négligeons volontairement. Ces états n’étant pas suffisamment somatisés, si on peut dire, manquent des caractères objectifs, indispensables lorsqu’on se propose de tirer des déductions qui devront avoir une sanction matérielle. Ce qui caractérise l’état mental dans le grand hypnotisme c’est l’inconscience. On peut dire que chez les bons sujets l’inconscience est absolue aussi bien dans le somnambulisme, que dans la léthargie et dans la catalepsie.

Entendons-nous cependant sur ce terme d’inconscience, que nous employons ici, car faute d’explications on pourrait se méprendre sur notre pensée. On désigne généralement par phénomènes de conscience les phénomènes qui, dans certaines conditions déterminées, accompagnent les réactions du système nerveux ; c’est ainsi qu’on dit qu’il y a conscience dans le réflexe produit par un coup violent sur le pied ; le sujet sent, perçoit le coup, il en a conscience. Il est évidemment difficile de savoir si, dans tel cas donné, la conscience est présente ou fait défaut ; car c’est là un phénomène subjectif par excellence que nous ne pouvons reconnaître chez d’autres par aucun signe visible, mais dont nous conjecturons la présence par induction, en leur attribuant ce que nous observons sur nous-mêmes. Aussi ne pouvons-nous jamais savoir au juste si l’hypnotique est une personne

  1. Féré et Binet. — Note sur le somnambulisme partiel. (Soc. Biol. 25 juillet 1884.)