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La suppression des affections est un processus purement physiologique, un phénomène normal de la vie. S’il commence de bonne heure, dans les premières années de la vie, il prend avec l’âge un développement de plus en plus grand. Il se rapporte à toutes les espèces d’émotions psychiques aussi bien négatives que positives. Quelle est sa signification et son but ? La suppression des affections n’est au fond qu’une sélection émotionnelle, une élaboration de sentiments vigoureux, par voie de suppression des éléments de faiblesse. Cette économie permet aux émotions psychiques de surgir plus accentuées et pour ainsi dire doublées. C’est ainsi que l’exercice des facultés répressives amène le développement des sentiments normaux vigoureux. C’est la raison pour laquelle enseigner aux enfants l’art de supprimer des affections constitue un problème d’une haute importance pédagogique.

La manière de procéder de certaines mères offre parfois, cependant, des traits qui sont diamétralement opposés à ce principe progressif. Je veux parler de la manifestation imprudente des sentiments d’une mère à l’égard de son enfant, quand aux moindres émotions de celui-ci, elle le couvre de caresses et de baisers. Cette manière de procéder ne peut être utile à l’enfant que dans les cas, où il est tout petit, où ses affections ne sont point encore développées, et où il ne peut encore éprouver que des sensations inférieures, d’un caractère physique élémentaire ; mais à l’âge de deux ans et plus, les enfants ont besoin d’impressions plus raffinées, plus compliquées, et une bonne mère ne doit point exprimer ses sentiments par cette menue monnaie de caresses irrationnelles, Elle doit posséder constamment cette économie raffinée du sentiment, cette élection prudente des mouvements psychiques, qui sont innés en elle et qui constituent la caractéristique sublime de son sexe. Une mère prudente peut, à elle seule, procurer le développement émotionnel régulier de ses enfants. Cette propriété de la femme constitue le côté le plus élevé du progrès humanitaire, les bornes biologiques les plus reculées que puissent atteindre, dans la nature, les fonctions névro-psychiques. Pour les enfants qui ont appris à comprendre le langage de la mère, les formes supérieures de l’affection deviennent indispensables, en même temps que les manifestations du sentiment plus énergiques, si non plus fréquentes. Toutes les explosions d’une tendresse plus faible et momentanée ne doivent pas se produire en présence du jeune enfant, d’autant plus que la faculté de saisir les sentiments d’autrui et de les imiter se développe de très bonne heure et d’une manière décisive.

(À suivre.)
Dr Sirorski.
St-Pétersbourg.