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l’éducation, et il est indispensable d’entrer dans quelques détails. On peut dire en général que les actions de l’homme ont trois sources principales : 1o Les affections et les passions, 2o Les instincts. 3o La conscience et la raison.

Le progrès humain tend à soumettre les instincts et les affections à la raison, aux exigences conscientes. Le développement de l’enfant étant régulier, ce progrès apparaît de très bonne heure : avant même d’avoir essayé de marcher, l’enfant connaît déjà l’art de maîtriser la faim et d’autres instincts, comme nous le verrons ci-dessous. La période de la deuxième à la cinquième année n’est qu’une série continue des efforts de ce genre. Cependant c’est précisément cette période qui attire le moins la sollicitude des parents et des éducateurs. Ordinairement on soigne l’enfant à l’époque où il est totalement impuissant, c’est-à-dire pendant la première année de sa vie ; mais durant la période de deux à quatre ans on ne prend plus garde à lui : on le laisse tout seul à ses jeux, et l’on reporte toute sa sollicitude sur ceux qui sont plus jeunes ou plus âgés. C’est pour cela que la période de deux à cinq ans reste la plus obscure dans la vie de l’enfance. On peut pourtant affirmer que c’est durant cette période qu’apparaissent les premières anomalies dans la conduite des enfants, de même que les premiers écarts de leur caractère. C’est dès cette époque que les parents impatientés commencent à les punir, non pour leurs fautes, qui sont encore très rares à cet âge, mais parce qu’ils sont récalcitrants. Le problème qui consiste à supprimer ses affections, à subordonner ses actes aux exigences de la raison, que l’enfant conçoit déjà très bien, ce problème lui devient de plus en plus difficile, à mesure que les affections se développent et s’affermissent avec l’âge.,

La seconde et la troisième année de la vie constituent précisément la période où les affections deviennent plus violentes, selon l’assertion de tous les observateurs[1]. Le succès de l’enfant pour maîtriser ses affections sera d’autant plus considérable que, vers cette époque, sa volonté est plus développée, et qu’il s’est davantage exercé dans l’art de réprimer subitement ses émotions psychiques. Si cette partie de l’éducation n’est pas l’objet d’une sollicitude systématique, l’enfant sera en proie aux brusques variations de divers instincts, aux velléités et aux tendances à les augmenter par la force de la volonté, au lieu de les réprimer. On peut s’en convaincre par les exemples suivants. S’il arrive à un enfant docile d’éclater brusquement en pleurs, il a conscience de la singularité de sa conduite, et les

  1. Uffelmann, loc. cit., 853. — Vierordt, loc. cit., 478.