Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/262

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
258
revue philosophique

vingt-deux ans était en proie aux accès convulsifs. À l’âge de vingt-quatre ans, il se maria sans changer son genre de vie et devint père d’une fille après une année de mariage. Ensuite il est tombé en démence et mourut, à l’âge de vingt-sept ans, d’épilepsie alcoolique. J’ai eu l’occasion d’observer la fille de ce malheureux père et de cette misérable mère depuis l’âge de deux ans. Elle était régulièrement constituée, ne présentait aucune trace de défaut de développement, ni au moral, ni au physique ; mais elle se distinguait par la crainte et par une grande irritabilité de caractère : elle pleurait aux moindres émotions psychiques. Le sentiment de la peur était très développé chez elle. Elle ne pouvait jamais demeurer seule, elle avait peur de l’obscurité, elle ne dormait qu’à la lumière ; sa bonne était obligée de lui tenir les mains, ou de poser sa main sur elle, autrement elle ne pouvait s’endormir. Si la bonne la laissait seule, ne fût-ce que pour un instant, la solitude produisait immédiatement chez elle une crainte violente et des larmes. Elle avait peur des bains. Dès qu’on la plongeait dans l’eau, elle commençait presque toujours à pleurer ; et lorsqu’on lui lavait la tête, mais surtout lorsqu’on l’aspergeait avec de l’eau, elle faisait paraître des symptômes d’une peur énorme et poussait des cris. Il paraissait impossible de l’accoutumer au bain : l’enfant, en proie à la peur, se cramponnait instinctivement à sa bonne et poussait des cris. Après chaque accès de pleurs, les traces de l’émotion persistaient pendant longtemps, un quart d’heure, une demi-heure et plus.

L’exemple de cet enfant, comme les exemples ci-dessus, prouvent que les enfants des parents névro ou psychopathiques sont caractérisés par des qualités ou des défauts particuliers, — fait déjà connu d’Esquirol[1] et de Morel. L’éducation de ces enfants présente toujours de plus grandes difficultés que celle d’enfants exempts d’hérédité maladive. Nous trouverons plus tard la confirmation de cette règle générale.

Ce que nous avons dit concernant la sensation de la peur est tout aussi applicable à d’autres affections, particulièrement à la colère et à la confusion. L’exercice des enfants dans l’art de supprimer, de maîtriser les affections, constitue un des problèmes les plus graves de l’éducation ; et déjà dès les temps les plus reculés les médecins ont compris ce côté de l’hygiène de l’enfance. Nous trouvons, en effet, chez Galien, chez Oribase et chez les médecins arabes des prescriptions précises sur l’éducation du sentiment. Dans son livre de Tuenda sanitate, Galien parle de la colère, de l’irritabilité et de la pleurnicherie des enfants [ira, iracundia, fletus] et indique des

  1. Esquirol, Maladies mentales, Paris, 1888, t.  i, p. 66.