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Dr SIKORSKI . — l’évolution psychique de l’enfant

surtout si la peur est favorisée par l’obscurité. Je ne veux pas analyser les causes de la peur dans ces conditions. Il est très probable que l’absence d’impressions visuelles tend à renforcer d’autres sensations, surtout celles d’audition et de toucher, comme il est facile de l’éprouver, en observant ses propres sensations dans de pareilles conditions. On peut accepter comme probable que le développement du sentiment de la peur dépend beaucoup de la fréquence de cette sensation et de son expérience répétée. Partant de ces faits, je résolus d’habituer mes enfants à la solitude et à l’obscurité, en commençant à pratiquer cette méthode dès les premiers jours, par conséquent, alors qu’il n’existe encore aucun sentiment de peur, ni aucune capacité de l’éprouver. Dès les premiers mois de la vie, j’ai habitué mes enfants à rester parfois dans la solitude avec ou sans lumière. Je considérais comme très utile de laisser l’enfant s’endormir tout seul, en le quittant immédiatement après l’avoir couché. Si l’enfant vous prie de rester, ou vous appelle quelques minutes après, vous répondez pour le tranquilliser et en promettant de venir bientôt. La plupart du temps, l’enfant s’endort sans vous attendre. Ces mesures ont été pratiquées strictement et méthodiquement. Les résultats ont été fort convaincants. Je puis dire que mes enfants n’ont absolument aucune peur dans l’obscurité ; ils entrent dans une chambre obscure et vide ; ils s’endorment, laissés tout seuls dans leur chambre : il va sans dire que mes enfants n’ont jamais ouï des contes à faire peur. On pourrait répliquer que cette expérimentation peut être interprétée d’une autre manière, en disant par exemple que ces enfants n’avaient aucune prédisposition innée à la crainte, et que c’est dans cette circonstance qu’il faut chercher la cause principale de la facilité avec laquelle on a pu développer chez eux le courage et l’intrépidité. Je crois, cependant, que le sentiment de la peur est généralement inné chez les enfants, et il s’est montré parfois chez mes propres enfants : j’ai pu constater chez eux des tentatives de ce sentiment à prendre racine dans le terrain prédisposé, et je me crois autorisé à conclure que la suppression totale ou partielle de ce sentiment ne s’effectue qu’au moyen de l’éducation. Mais, d’un autre côté, il est hors de doute que le sentiment de la peur et une prédisposition particulière à cette affection, peut apparaître en qualité d’un symptôme maladif héréditaire, comme le démontre l’exemple suivant d’une enfant, âgée de deux ans et demi, fille d’un père alcoolique et d’une mère très dépravée. Le grand-père de l’enfant du côté paternel était alcoolique depuis sa jeunesse, et son fils commença à boire dès l’âge de dix-sept ans ; il buvait surtout du Xérès, et, à l’âge de dix-sept ans, c’était déjà un ivrogne chronique, qui à