Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
256
revue philosophique

ingénieux, qui leur permet de s’enfuir rapidement à l’abri du danger. Cette espèce de peur existe chez les oiseaux, chez les souris ; elle est provoquée par le moindre bruit. Mais quant à l’organisme de l’homme, la peur entrave pour la plupart des individus le progrès psychique, surtout pendant l’enfance. La pédagogie rationnelle tend de plus en plus à déraciner cette première affection infantile, en la remplaçant par le courage et le raisonnement. Quant à l’apparition et au développement de la peur, Preyer a fait une observation importante qui consiste en ceci : moins l’enfant éprouve de sensations douloureuses, plus l’apparition de la peur est retardée et vice versa[1]. Les impressions agréables paraissent prémunir l’enfant contre la peur. Nous voyons dans cette observation une preuve évidente de l’importance des soins assidus au berceau de l’enfant pour les progrès de son développement émotionnel. Nous avons dit plus haut que les soins et la sollicitude ont la même importance pour le développement d’autres affections, telles que la colère et les pleurs. Cette idée avait été généralisée par Galien d’une manière très significative au point de vue pratique. « Corrumpuntur, dit-il, animi mores prava consuetudine cuisque horum, cibi, potionis, exercitationis, videndi, audiendi totius denique musices. Quare, ajoute-il, peritum horum omnium esse eum medicum opportet, qui sanitatis tuendæ curam suscipiet[2]. » Plus tard, à l’apparition de la conscience, c’est l’imitation qui commence à exercer une grande influence sur le développement de la crainte, comme aussi sur le développement d’autres sentiments. M. Preyer invoque la conviction générale que les mères peureuses produisent des enfants peureux aussi, tandis que le courage de la mère développe l’intrépidité chez son enfant[3]. On comprend maintenant, pourquoi laisser paraître sa peur en présence d’enfants est une grande pusillanimité au point de vue de l’éducation. Outre les conditions citées, il existe probablement plusieurs causes, capables de produire la peur ou de l’entraver. D’après mes propres observations, c’est le fait que l’enfant se trouve continuellement dans la compagnie d’adultes ou dans leurs proximité immédiate, qui contribue pour une large part au développement du sentiment de la peur[4]. Si l’enfant est habitué à rester toujours avec quelqu’un, la peur l’envahit dès qu’on le laisse tout seul. La solitude agit de la même manière sur l’adulte,

  1. Loc. cit., p. 101.
  2. De tuenda sanitate, lib. i ; la citation est puisée dans Epitome Galeni operum, Lugduni, anno 1643, p. 208.
  3. Loc. cit., p. 105.
  4. On trouve un fait semblable cité chez Locke. Voir ses pensées sur l’Éducation des enfants, trad. Coste, Paris, 1889, p. 172-173.