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Dr SIKORSKI . — l’évolution psychique de l’enfant

César affirme, d’une façon assez énergique, qu’à Rome, de son temps, on pouvait rencontrer plus souvent une femme portant dans ses bras un chien ou un perroquet qu’une mère portant son[1] enfant. J.-J. Rousseau jette à ses contemporains le reproche suivant : « L’enfant a-t-il moins besoin des soins d’une mère que de sa mamelle ? D’autres femmes, des bêtes même peuvent lui donner le lait qu’elle lui refuse ; la sollicitude maternelle ne se supplée point[2]. Les hygiénistes français blâment vivement la coutume de leurs compatriotes de confier leurs enfants aux soins des nourrices[3].

Le sentiment a une signification immense dans tout le processus si compliqué du développement névro-psychique ; antérieur au raisonnement et à la raison, il sert de conducteur et d’excitateur au développement psychique ; il peut bien contribuer au progrès intellectuel[4], comme, par contre, il est capable de l’entraver. C’est la raison, pour laquelle l’étude approfondie du développement des sentiments a une grande importance pratique pour l’hygiène de l’éducation. Je ne ferai pas d’analyse du développement de tel ou tel sentiment en particulier, ce problème restant insoluble, vu l’état actuel de la psychologie ; je m’occuperai de quelques affections dont on peut dire quelque chose de positif. Nous commencerons par la sensation de la peur. Aucune affection, aucune passion peut-être n’exerce une influence aussi fâcheuse sur le progrès névro-psychique que la peur. M. Preyer donne l’exposé d’observations pratiques et de la génération de la peur. Ses données s’accordent dans leurs traits principaux avec celles avancées par Darwin. Les résultats principaux de la connaissance actuelle de la peur consistent en ceci.

La peur est un sentiment inné ; elle parait très tôt, avant que l’enfant ait pu avoir des raisons d’éprouver la crainte. La peur surgit subitement comme un mouvement psychique tout formé, dès que l’occasion s’en présente. Les petits enfants éprouvent une terreur panique à la vue d’un chat ou d’un jeune chien qui s’approche d’eux tout à fait débonnairement, et ceci avant qu’ils aient eu quelque expérience de la méchanceté de ces animaux. La peur existe aussi chez les animaux comme une sensation innée, héréditaire, et s’observe chez plusieurs, comme chez les oiseaux, déjà au moment de leur entrée dans le monde. Le sentiment de la peur revêt chez quelques animaux la forme d’un mécanisme psychique assez

  1. Ibid., p. 94.
  2. J.-J. Rousseau, Émile.
  3. Riant, loc. cit., p. 97.
  4. Preyer, loc. cit., p. 116.