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Si nous posons maintenant la question de savoir, si l’on peut remplacer la mère au berceau de l’enfant, la réponse ne sera qu’en partie affirmative. On peut trouver, il est vrai, un être plein de cœur qui soignera l’enfant avec zèle et avec toute sorte de prévenances et qui fera son possible pour lui procurer des sensations agréables et lui en épargner de désagréables, tout en lui servant de modèle vivant de sentiment ; mais nulle personne ne peut devenir la mère d’un enfant, si elle ne l’est pas de nature. C’est-à-dire que personne ne peut éprouver cet état d’excitation, d’animation intellectuelle et morale qui est échu en partage à la maternité, comme état réel physiologique ; et par conséquent personne ne peut égaler la mère comme modèle des sentiments en voie de formation chez l’enfant.

Rien ne démontre le manque de propagation dans nos sociétés d’idées justes sur la psychologie de l’enfance, comme l’absence presque générale d’allaitement maternel dans les grandes villes. Cette pratique est usitée partout en France[1]. La coutume de confier ses enfants aux nourrices est nuisible au point de vue du développement névro-psychique qui peut en souffrir. Il existe sans doute des raisons sérieuses qui obligent la mère à s’abstenir d’allaiter son enfant, et dans ces cas extrêmes il n’y a point d’autre parti à prendre ; mais dans tous les autres cas, la mère doit bien réfléchir avant de prendre cette décision, et il se pourrait qu’elle préférât assumer la peine de nourrir son enfant et d’en courir les risques, plutôt que de nuire aux chances du développement des sentiments naissants de sa progéniture.

Il n’existe que deux conditions[2] qui puissent positivement empêcher la mère d’être la nourrice de son enfant, ce sont les suivantes : 1o Epuisement ei maladie ; 2o Caractère nerveux, irritable. Cette dernière circonstance rend la femme également incapable d’allaiter et d’élever son enfant. Dans tous les autres cas, l’abstention de la femme n’est que l’effet de son insouciance et d’une bien triste erreur. Selon l’opinion des meilleurs hygiénistes, la décision à prendre sur l’allaitement doit dépendre de l’avis du médecin et non de la résolution de la mère seule. L’abstention chez les femmes de l’accomplissement de leurs devoirs naturels s’est pratiquée dès les temps les plus reculés ; cette abstention est, pour ainsi dire, un véritable esclavage de la nourrice par rapport à l’enfant, elle a encouru le blâme des meilleurs hommes de tous les temps. Jules

  1. Riant, Hygiène et éducation, Paris, 1877, p. 172.
  2. Fonssagrives, Leçons d’hygiène enfantile, Paris, 1882, p. 594.