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Dr SIKORSKI . — l’évolution psychique de l’enfant

nourrice et de bonne pour son enfant, le développement intellectuel et moral de ce dernier est absolument assuré par la familiarité d’un exemple aussi élevé, surtout si l’on considère que limitation est un des agents les plus puissants du développement de l’homme dans la période de l’enfance. Plusieurs mouvements, dépendant de la volonté de l’enfant, sont des mouvements imitatifs : l’art de parler s’apprend par la voie de limitation. L’imitation joue un rôle prépondérant dans le développement du sentiment et constitue peut-être la seule source extérieure du développement moral. L’enfant organise des jeux comme instrument pour son développement intellectuel, mais il n’existe rien de semblable pour le développement des formes plus compliquées des sentiments. Tout ceci démontre le rôle important d’un être placé au berceau de l’enfant, d’un être tout pénétré des mobiles et des élans humanitaires les plus élevés, et qui pour cette raison, peut être le meilleur instrument pour le développement du sentiment de l’enfant. « Le meilleur des maîtres, dit M. Riant, c’est la mère ; le meilleur enseignement, ce sont ses premières et touchantes leçons, dont le souvenir se retrouve dans toute la vie de l’homme, ces leçons qui font aimer le bien et inspirent le goût du travail, parce que l’image bénie d’une mère est associée à ses premiers efforts, à ses devoirs, dont ce tendre maître sait si bien déguiser la sévérité ou l’’amertume[1]. » Il est clair que le rôle de la femme a une portée beaucoup plus élevée qu’on ne le croit habituellement : la femme a, dans l’économie de la nature, dans le problème de la race, une signification importante, celle d’un mentor du sentiment. Les paroles suivantes du docteur Pirogoff sont donc éminemment profondes. « En prenant soin du berceau de l’homme, en instituant les jeux de son enfance, en lui apprenant à épeler les premières paroles, les femmes deviennent les architectes principaux de la société dont la pierre angulaire est posée par leurs mains[2]. » Si l’importance de la mère n’est pas suffisamment appréciée, la cause en est dûe au défaut d’études de la psychologie de l’enfance jusqu’à ces derniers temps, ce qui fait que toute l’évolution si complexe du développement de l’enfant est restée dans l’ombre, en même temps que les mérites de la mère. Mais lorsque la psychologie et l’hygiène de l’enfance rentreront dans le cadre de l’éducation de la femme, le rôle de cette dernière deviendra en même temps plus clair. Alors les soins à donner au berceau de l’homme cesseront d’être un métier et s’élèveront à la hauteur d’une science comme l’hygiène.

  1. Riant, Hygiène et éducation, Paris, 1877, p. 329.
  2. Pirogoff, Questions de la vie (éd. russe).