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Dr SIKORSKI . — l’évolution psychique de l’enfant

d’ailleurs dans des conditions identiques quant aux soins et à l’éducation, comme les enfants des orphelinats.

On peut ajouter à ce, qui a été dit sur les différences émotionnelles des enfants, que ceux qui sont le plus prédisposés aux pleurs, présentent souvent un phénomène opposé, à savoir qu’ils se laissent aller à un rire insipide, irrésistible, spasmodique. Ils diffèrent beaucoup, sous ce rapport, des enfants tranquilles : chez ces derniers les courses et les jeux enfantins assument plutôt le caractère des mouvements musculaires animés, gracieux, que celui d’une excitation émotionnelle insipide.

La prédisposition des enfants aux pleurs, de même que l’état opposé, quelquefois produit des faits d’apparence tellement bizarres, que l’on pourrait presque y voir des phénomènes pathologiques, si l’on ne savait pas que les mouvements névro-psychiques extrêmes sont propres à l’enfance en général, et que les pleurs constituent pour cet âge un phénomène purement physiologique. En tout cas, les faits que je vais citer ont un intérêt théorique.

I. — Un garçon, issu de parents pauvres de la classe ouvrière, était né le 17 avril 1883 et entré le 7 mai à l’Hospice des enfants trouvés. C’était un enfant d’une constitution vigoureuse, bien nourri, pesant à l’entrée dans l’établissement 3, 370 grammes. Sa mère avait mis au monde treize enfants qu’elle avait tous allaités elle-même ; l’enfant en question était donc le quatorzième. La mère était morte en couche, il avait été porté à l’hospice. Durant six mois, l’enfant se développa tout à fait régulièrement, et ne fut affecté d’aucune maladie sérieuse ; tous les organes explorés n’accusaient aucun symptôme de maladie, et l’augmentation graduelle du poids, la croissance normale, dont les chiffres sont cités ci-dessous, prouvent, d’une manière incontestable, son développement normal. Il paraissait le plus robuste des deux cents enfants de son compartiment, et cependant il était le plus inquiet et le plus pleurnicheur de tous. Il pleurait parfois durant une demi-heure, une heure entière et plus ; il pleurait lorsqu’il avait faim et lorsqu’il était rassasié, il pleurait la nuit et le jour. La quantité des larmes répandues était modique, — elles apparurent au quatrième mois ; — mais c’est le cri qui dominait. Après s’être tranquillisé, l’enfant ne présentait aucun symptôme de malaise, et paraissait, jusqu’à un certain point, gai. Sous le rapport intellectuel, il montrait peu de vivacité ; son attentivité était assez faible. — Les symptômes de ce dernier phénomène chez les enfants seront analysés plus tard. L’accroissement du poids du corps donne les chiffres suivants :