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Les observations faites sur les enfants démontrent que, même à l’époque initiale de leur existence, ils diffèrent entre eux sous le rapport de la sensibilité. Tandis que les uns sont endurants, patients, supportent assez stoïquement les sensations désagréables, montrent du goût pour les exercices musculaires, et gardent pour la plupart une bonne humeur ; d’autres, au contraire, sont impatients, pleurnicheurs, irritables et laissent entrevoir en somme plus de manifestations désagréables que les enfants de la première catégorie. Il est beaucoup plus difficile de veiller sur ces derniers et de les soigner ; cependant, en s’y appliquant avec beaucoup d’attention, on peut les améliorer et les rendre à peu près semblables aux enfants qui se développent régulièrement : c’est en les préservant de toutes les impressions désagréables qu’on obtient ces résultats.

Cette différence dans le développement émotionnel apparaît d’une manière évidente, dès que l’on se trouve en présence d’un grand nombre d’enfants à observer. La différence apparaît déjà pendant la première année, mais elle devient surtout évidente pendant la seconde, où les sentiments et les affections sont plus développés et où les rapports avec l’entourage s’élargissent et se compliquent. Il est très probable que l’augmentation du travail intellectuel, provoquée par l’intelligence toujours croissante, contribue aussi à augmenter l’excitabilité émotionnelle de l’enfant. Comme la plupart des affections, colère, tristesse, etc., se résolvent chez lui par les pleurs, la facilité de pleurer apparaît comme le critérium de son humeur. En effet, le larmoiement constitue le phénomène émotionnel le plus fréquent de l’enfance. Les enfants diffèrent notablement entre eux sous le rapport des pleurs ; chez les uns, les pleurs sont relativement plus rares ; les accès de pleurs sont chez eux d’une courte durée et présentent des caractères qui permettent de leur donner, pour ainsi dire par anticipation, la désignation de larmoiement normal ou ordinaire. On sait que, dans la première période de la vie, l’enfant en pleurant ne fait que crier, qu’il commence plus tard à crier et à pleurer en même temps[1], et qu’enfin il peut pleurer sans crier. Cette dernière manière de pleurer présente le commencement de ce qu’on appelle « les larmes douces », façon de pleurer propre aux adultes. Dans tous les cas, l’action de pleurer est accompagnée de certains syndromes mimiques. Les enfants répandent beaucoup moins de larmes dans la première

  1. Les enfants anglais commencent, selon Darvin, plus tard, et selon Preyer, les enfants allemands plus tôt à répandre des larmes en pleurant. Preyer, loc. cit., p. 192.