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Dr SIKORSKI . — l’évolution psychique de l’enfant

des impressions douloureuses qui affectent l’enfant très souvent et très facilement. La sensation désagréable se produit même par la seule cessation des stimulants agréables, par exemple si l’on retire la lumière hors de la portée de son champ visuel. On peut observer de très bonne heure ce dernier phénomène, alors qu’il n’existe encore chez l’enfant aucune trace de raisonnement, soit au deuxième et au troisième mois de la vie. Dans les cas où les sensations désagréables entrent souvent en jeu, toute la marche de son développement psychique s’en ressent : l’enfant devient extrêmement impressionnable, irritable, impatient. Le plus souvent des cris et des pleurs viennent s’y joindre, et les circonstances en sont d’autant plus graves. « Les larmes, » dit Locke, « servent plus qu’aucune autre chose que je sache, à augmenter dans les enfants cette mollesse d’esprit qu’il faut prévenir ou surmonter lorsqu’elle paraît, aussi n’y a-t-il rien qui puisse mieux la réprimer et l’anéantir entièrement que de les empêcher de s’abandonner aux plaintes[1] ».

Cependant il s’est formé, d’une manière étrange, l’opinion que les cris et les pleurs de l’enfant lui sont utiles, en contribuant au développement de sa poitrine. Il n’est pas rare d’entendre même des médecins affirmer qu’il faut laisser aux enfants la liberté de pleurer. À de très rares exceptions près, il est impossible de partager cette opinion. Il se peut que les cris et les pleurs soient utiles au développement de la poitrine ; il se peut encore qu’ils soient utiles dans les cas très rares, où ils tiennent la place d’une gymnastique nécessaire, lorsque le mouvement des membres est impossible, par exemple[2] quand l’enfant est trop serré dans les layettes ; mais dans la grande majorité des cas, les cris sont plutôt nuisibles, parce qu’ils produisent des désordres considérables dans la circulation cérébrale. L’action nuisible qu’exercent les pleurs et les cris sur le cerveau encore tendre, semi-liquide de l’enfant, est beaucoup plus considérable que celle produite par les mêmes causes sur le cerveau de l’adulte. Une hygiène raisonnée exige que toutes sortes de mesures soient prises pour procurer à l’enfant une existence paisible, avec exclusion des sensations désagréables et des larmes. Il s’agit donc. de le surveiller bien attentivement et de pourvoir promptement à ses besoins, dès qu’il commence à se sentir mal à l’aise, sans attendre qu’il pleure. La régularité du sommeil de l’enfant est particulièrement importante.

  1. Locke, Pensées sur l’éducation des enfants, trad. de Coste, Paris, 1882, p. 158-159}}.
  2. Preyer, loc. cit., p. 96. La même opinion avait été émise antérieurement à M. Preyer par Rufus d’Éphèse. V. Oribase, Œuvres complètes, t.  III, p. 160.