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Le développement régulier des sentiments a une signification importante dans l’évolution de la vie névro-psychique. Preyer reconnaît cette importance pour les affections de peur et d’étonnement, qu’il a étudiées. Mais notre avis est, qu’on peut attribuer la même importance à tous les sentiments, à toutes les affections en général. Ceci nous conduit naturellement à la conclusion que le développement régulier des sensations doit constituer le problème essentiel de l’hygiène et de l’éducation. Cette vérité a été avancée il y a longtemps par Esquirol, comme maxime générale. « Nous prenons beaucoup de soin pour former l’esprit », dit-il, « et nous semblons ignorer que le cœur a, comme l’esprit, besoin de l’éducation[1] ».

Comment se développent les sentiments chez l’enfant ? La nature use-t-elle d’impressions, venant de l’extérieur comme excitants, ou bien met-elle en action quelques processus internes, qui, en qualité de précédents, facilitent l’apparition et le progrès des sentiments ?

Mes propres observations faites sur le développement émotionnel[2] des enfants m’autorisent à conclure que les stimulants extérieurs jouent un rôle important dans le développement des sentiments. Ces stimulants sont différents aux différentes époques de la vie de l’enfant.

Durant les premiers mois de la vie, les sentiments positifs ou agréables, ayant pour effet le contentement et la bonne humeur, sont soutenues et alimentées par toutes les sensations élémentaires agréables, comme par exemple : l’action de succion, certaines impressions de l’organe du goût, la satiété, des bains tièdes, un lit chaud, une lumière modérée, des sons doux, un travail musculaire modéré. Étant donné, que ces jouissances sont en profusion, il se développe alors chez l’enfant Jun germe croissant des sentiments solides et énergiques. Dans ces conditions, un enfant offre ordinairement l’aspect de la sérénité ; il est tranquille, patient, gai, il fait beaucoup de mouvements, sa face a une expression agréable ; il a les yeux largement ouverts et des joues joufflues, résultat du jeu prépondérant des grands zygomatiques.

Les sensations désagréables, négatives, ont une valeur pratique beaucoup plus considérable. Elles sont produites à l’origine par toutes les causes adverses : la faim, la fatigue, la pression, le prurit, toutes sortes d’impressions aiguës et inattendues, mais surtout par

  1. Esquirol. Des maladies mentales, Paris ; 1838, t.  I, p. 50.
  2. Les observations sur le développement psychique des enfants en bas âge ont été faites sur mes propres enfants, sur ceux de l’Orphelinat de Saint-Pétersbourg et sur les nouveaux-nés de l’Institution obstétrique.