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Dr SIKORSKI . — l’évolution psychique de l’enfant

sujet un fait intéressant, à savoir, que les enfants opérés pour le labium leporinum le troisième jour après la naissance, s’endormaient fatigués par la douleur, pendant qu’il posait la suture. Les sensations agréables elles-mêmes, quoique moins intenses, sont également fatigantes, comme le prouve un fait observé par M. Preyer sur la personne de son propre fils. Cet enfant âgé de deux mois après avoir écouté pendant quelques minutes les sons du piano, s’endormit pour six heures sans se réveiller, ce qui ne lui était jamais arrivé auparavant[1]. Lorsqu’un enfant rassasié, bien soigné et dont tous les besoins sont satisfaits, témoigne quelque sensation désagréable ou qu’il commence à pleurer, cela veut dire qu’il est fatigué de regarder, d’entendre ou d’éprouver d’autres sensations et qu’il éprouve le besoin de se reposer. L’enfant, observateur inconstant par excellence, fait des transitions continuelles d’un objet à l’autre, ce qui s’explique surtout par le fait que la sensation éprouvée le fatigue rapidement, et que son attention se porte d’une manière réflexe sur d’autres objets.

Le travail nervo-musculaire fatigue tout autant l’enfant. C’est ainsi, par exemple, que l’action de sucer provoque quelquefois des cris et des larmes, si le sein ne contient pas assez de lait et si l’enfant est obligé, pour sucer, de faire des efforts épuisants. Sans prendre en considération la foule de mouvements impulsifs de l’enfant, une source considérable de fatigue est produite, comine le suppose avec beaucoup de justesse M. Preyer, par le travail continuel des muscles respiratoires, travail qui n’existait point dans la période de la vie intra-utérine. Ces causes expliquent assez le sommeil presque continuel de l’enfant dans la première période de sa vie.

Quant à l’époque de l’apparition des manifestations psychiques plus compliquées, plus différenciées, c’est-à-dire quant à l’époque de l’apparition des différentes sortes d’affections et de sensations d’un ordre plus élevé, nous possédons là-dessus très peu d’observations exactes. M. Preyer donne quelques indications concernant l’époque de l’apparition de la sensation de peur, d’étonnement[2].

Il est avéré seulement que les sensations et les affections se manifestent chez les enfants, en général, antérieurement aux autres séries de fonctions psychiques (la volonté, le raisonnement par exemple), et qu’à une certaine époque elles constituent le côté le plus saillant de leur existence psychique. Plus loin, nous aurons l’occasion de parler de l’époque de l’apparition des affections.

  1. Ibid., p. 101.
  2. Ibid., 104-108.